BILLET n°182 – PISCINES TOURNESOL, BERNARD SCHOELLER ET MATRA DIP (2/4)
BERNARD SCHOELLER ET L’AVENTURE DES PISCINES TOURNESOL (suite)
Sur la dangerosité des sinistres dans le cas des modèle et le désengagement des assureurs des architectes, il évoquait le cas des piscines Caneton dont les sinistres à répétition ont usé physiquement Charvier, son architecte, associé à Aigrot et Charras : « Il y a eu de gros problèmes sur les Caneton, mon confrère Charvier en est mort (…) Sur les piscines Caneton, le problème est survenu sur les portiques en lamellé-collé, en forme de V. A l’intérieur de ces portiques étaient disposées les gaines d’air chaud. L’ensemble couvert en Hypalon, sorte de revêtement plastique souple. Il y a eu des ponts thermiques, des condensations sous l’Hypalon, amenant de l’humidité sur les poutres en V qui ont commencé à pourrir. Elles se déformaient, les portes ne fermaient plus… et il n’était pas assuré, en tous les cas pour l’Hypalon. Il a construit près de 190 piscines, il a eu 150 procès sur le dos, il parcourait la France pour aller se défendre sur chaque sinistre. Je crois quand même que le ministère l’a aidé, mais il « s’est rongé les sangs » et il est mort d’un cancer. C’est triste. »
Il était scandalisé que les architectes ne soient pas consultés lors de la rénovation de leurs projets, que le droit d’auteur soit bafoué en architecture : « Puisque tu es dans le devenir des projets industrialisés ou autres, il y a un truc absolument scandaleux c’est la coutume actuelle, où on rénove des bâtiments sans même en avertir l’auteur. Sans même le consulter (…) Je pourrais attaquer les municipalités qui lancent des concours. Le problème c’est que je suis en bagarre avec le fisc, et je n’ai pas mes attestations, c’est pour ça que je travaille avec le privé, aussi je ne peux pas être sélectionné pour les concours. Parfois j’interviens en tant que conseil. » Il était parfois sollicité par les municipalités pour mener des études de réhabilitation et de reconversion de ses piscines construites trente ans plus tôt, et il tenait un registre sur l’état et l’entretien des 183 piscines Tournesol : « Les piscines Tournesol, il y en a qui sont très bien entretenues, d’autres qui sont dans un état déplorable. J’en ai vu en Alsace remarquablement conservées. J’ai fait une enquête il y a deux ans auprès des communes qui ont des piscines Tournesol, j’ai envoyé 183 lettres. J’ai eu environ 160 réponses. Je leur ai posé quatre questions afin de connaître leur état et leur devenir ».
Pour les piscines Tournesol, Schoeller accuse l’État de désengagement dans le suivi des opérations, notamment à partir de la loi sur la décentralisation de 1982 : « Il y a 3 ou 4 ans je suis allé voir le ministère de la Jeunesse et des Sports. Je leur ai dit : « il y a 183 piscines Tournesol qui ont entre 20 et 30 ans, chaque municipalité se trouve confrontée à leur devenir, rénovation, adaptation aux nouveaux besoins et de sécurité. Ne serait-ce pas intelligent d’avoir une réflexion d’ensemble, ne serait-ce que pour avoir une banque de données, pour que les maires sachent ce qui se fait ailleurs ». Non, l’Etat s’est complètement désengagé, la décentralisation s’est faite, ce sont les mairies qui sont propriétaires, la politique des modèles c’est fini, qu’ils se débrouillent… A l’origine les communes mettaient à disposition un terrain, l’Etat leur payait la moitié du montant des travaux, et ils obtenaient un prêt très intéressant auprès de la Caisse des dépôts sur le reste des travaux. C’était une très bonne politique, intelligente. C’est fini, ça. »
En abordant la question de l’industrialisation pour les piscines Tournesol, il pointe les freins sur cette pratique de la construction, à la fois chez les édiles et les architectes locaux, qui voient pour les premiers des chantiers soustraits aux artisans et entreprises locales, pour les seconds des projets qui leur échappent : « il y a eu les petites entreprises locales, les chambres syndicales locales, les architectes locaux qui n’étaient pas très heureux de la politique des modèles (…)Ce qui est amusant, c’est que malgré cela, il y a eu une industrialisation « sourde » qui se fait par les Lapeyre, les fabricants de profilés PVC, les fabricants de portes (…) Et puis aujourd’hui il y a une sorte de modélisation due à l’informatique, on retrouve la même architecture un peu partout, une conception portant l’empreinte de la CAO ».
Schoeller racontait comment en 2002, lors d’un concours auquel il participait pour la construction d’une piscine sur les fondations d’une ancienne Tournesol qui avait brulé, son passé lui était revenu en boomerang, il était battu par sa propre création remontant à une trentaine d’années : « La municipalité de Blois lance un concours, après que sa « Tournesol » ait brûlé. Dans son programme, elle demande de réutiliser les fondations de la couronne, avec des extensions. C’était un concours conception-réalisation, avec une entreprise. Je fais le concours avec Eiffel. J’apparais en tant que conseil. On est battu par Baudin-Chateauneuf, qui présente un projet avec une autre piscine Tournesol rachetée à une municipalité. Ce n’est pas que mon projet, qu’ils ont piqué, c’est un objet qu’ils ont racheté et utilisé. Mais alors se faire battre par soi-même, il faut le faire. Le « présent » qui se fait battre par son « passé ». C’est ton passé qui vient te marcher dessus. » À la question de savoir pourquoi cette idée de réutiliser une piscine Tournesol ne lui était pas venue à l’idée il répondit : « Ce qui m’intéresse c’est de partir sur une nouvelle création. En plus, les anciennes piscines Tournesol, elles ne sont plus aux normes. Ni phonique, ni thermique. Elles ont été conçues avant la crise du pétrole. On envoyait des calories dans la nature. Il y avait un taux de renouvellement d’air exigé. »
Si l’intérêt que suscite son projet de piscine Tournesol le flattait, il regrettait aussi qu’elle occulte le reste de son œuvre, notamment ses recherches en direction du logement modulable. Une grande partie de notre entretien portera d’ailleurs sur son travail en direction du logement, plateaux libres et cloisons mobiles. La conversation ayant dévié sur Prouvé, il ajoute : « Puisque tu parles de Prouvé, j’ai eu l’occasion de déjeuner avec lui, et il m’a dit « bravo, ton truc c’est vachement bien », à propos de mes logements modulables, à la carte. »
Vincent du Chazaud, le 6 mars 2024
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