BILLET n°186 – ÉCOLE NATIONALE DE MUSIQUE ET DE DANSE DE MONTREUIL (2/3)

ASPECT SOCIAL

La construction de l’ENMD est l’aboutissement d’une volonté farouche et tenace de la municipalité communiste de réaliser à Montreuil un équipement culturel de haut niveau, à la hauteur de l’enseignement qui y était dispensé, et ceci malgré le peu d’intérêt manifesté par l’Etat, et l’aide financière tardive du ministère des Affaires Culturelles (à partir de sa reconnaissance comme école nationale en 1972, soit seulement au démarrage des travaux, laissant planer le doute durant tout le montage du dossier).

Léon Nerville, le directeur de l’Ecole de Musique, André Grégoire, le maire de Montreuil, pousseront à la réalisation de ce projet, mais c’est surtout Marie-Thérèse Hérisson, adjointe au maire, qui portera le projet à sa concrétisation par la recherche inlassable des financements, et son adhésion totale au programme et au choix esthétique surprenant de l’architecture.

Dans son discours d’inauguration, le 2 octobre 1976, le maire Marcel Dufriche fustige la léthargie de l’Etat: « Ce n’est que grâce à une action incessante que nous avons obtenu près de 4 millions de francs actuels de subventions. En 1974, nous nous sommes si bien battus que nous avons eu près de la moitié des crédits de construction des Conservatoires pour toute la France. Ceci, contrairement à ce qu’ose prétendre le secrétariat d’Etat aujourd’hui, ne montre pas que nous avons eu trop de subventions puisque nous n’en sommes pas encore aux 50% de subventions auxquels nous avons droit. Cela montre seulement la misère culturelle à laquelle, contre l’intérêt de la nation française, le pouvoir condamne le pays ».

Venant à la suite, le discours de Jacques Chambaz, membre du bureau politique du PCF vient faire écho à celui du maire: « Ni accepter la pénurie et l’austérité, ni prétendre combler les carences évidentes de la politique gouvernementale. Permettre à chacun de participer à la vie culturelle en contribuant à son enrichissement. Dans la démarche, assurer la pleine reconnaissance du rôle de la création artistique et des libertés qui lui sont nécessaires ».

Par cette réalisation prestigieuse, la mairie de Montreuil entendait bien montrer les capacités créatrices des municipalités communistes, face aux carences du pouvoir de droite. Avec l’ENMD, elle entendait mener la lutte contre la misère culturelle, ainsi que la promotion urbaine des centres villes de banlieue.   

ASPECTS URBANISTIQUES ET TECHNIQUE

Le projet d’une construction neuve trouve sa place dans l’opération de rénovation urbaine du carrefour de la Croix-de-Chavaux. Posé sur une dalle piétonne, le Conservatoire municipal est un équipement culturel à l’architecture atypique, prenant place dans un programme de rénovation urbaine comprenant six cents logements, un centre commercial, des cinémas, des activités tertiaires, l’Hôtel des postes et le Centre régional des impôts.

Claude Le Goas, architecte chargé du projet et urbaniste de la commune, sympathisant du Parti communiste dont l’agence occupe une place importante dans le paysage montreuillois, a su tirer un parti habile et original des fortes contraintes techniques et programmatiques. Avec son assistant Robert Bezou, ils ont mis en application les thèses de l’architecture moderne, la fonction générant la forme. Une lourde assise carrée sert d’écrin et de socle aux formes arrondies des coques, sensuelles et légères, glissées dans une rigoureuse résille de poutres et poteaux métalliques. La technique utilisée des structures irriguées a libéré les charpentes de leurs cocons protecteurs et, grâce aux profils en acier creux, elle a permis de redonner au métal toutes ses qualités pour exprimer un rationalisme lyrique.

Soumis aux contraintes programmatiques d’un conservatoire de musique, avec les problèmes phoniques et acoustiques à résoudre, et aux contraintes de sécurité, liées aux difficultés d’accès au bâtiment, ainsi que ceux liés au choix technique de l’acier et de sa protection au feu, le bâtiment de l’ENMD a fait appel à des techniques novatrices.

Dans un séminaire dirigé par Frédéric Seitz, Jean Roret, ancien directeur de la CFEM et premier Vice-Président du Syndicat de la construction Métallique de France, s’exprimait ainsi à propos de l’ENMD: « Cet exemple démontre la possibilité d’utiliser le métal pour des réalisations dont les exigences acoustiques sont fortes. Elles ont été résolues, dans ce cas, par la juxtaposition de cellules indépendantes. La structure résiste à l’incendie grâce à la présence d’eau à l’intérieur des poteaux ». Ici est résumée la manière dont l’architecte et l’entreprise se sont affranchis avec habileté et audace novatrice des deux contraintes essentielles liées au projet.

L’idée d’adapter le système connu de refroidissement par eau à la protection des structures métalliques tubulaires des immeubles contre l’incendie remonte à la fin du XIXème siècle. Dès 1884 G.S.Wright fit breveter en Allemagne et aux Etats-Unis des colonnes en fonte refroidies par eau. Il faut attendre jusqu’en 1960 pour relever un autre dépôt de brevet, cette fois en France puis deux ans après aux Etats-Unis, du à Paul Multin, qui en confia l’exploitation à la Société Durafour. L’originalité du système de Multin sur celui de Wright consiste à assurer une circulation naturelle de l’eau à l’intérieur de l’ossature chauffée par un éventuel incendie. L’eau mise en mouvement par un phénomène de thermo-siphon, comparable à celui utilisé pour le chauffage central, évacue les calories vers les parties restées à l’écart du foyer. Elle se refroidit en parcourant l’installation et revient irriguer la zone attaquée par le feu, préservant ainsi l’intégrité du poteau et la stabilité de l’ensemble de la construction. La durée de résistance au feu d’une structure irriguée est pratiquement illimitée.

Vincent du Chazaud, le 6 mai 2024