BILLET n° 194 – L’ART DÉCO, ENTRE ART NOUVEAU ET MOUVEMENT MODERNE (1)
Cette période artistique d’une vingtaine d’années, dite « Art déco », est située entre les deux guerres, soit entre l’armistice de 1918 et les espoirs de paix durable, la reconstruction des zones sinistrées du Nord et de l’Est de la France d’une part, et d’autre part les espoirs nés du Front populaire, la montée du fascisme et la déclaration de guerre de 1939.
L’Art nouveau, qui s’était plutôt adressé à une bourgeoisie éclairée, n’a pas résisté à la Grande Guerre ; la reconstruction des zones sinistrée exige rapidité et efficacité, avec des moyens réduits, et la nouvelle bourgeoisie aspire à plus de légèreté, de praticité et de confort dans l’habillement, l’habitation, la vie de tous les jours. En architecture, si le décor est toujours présent, faisant une large place aux artistes, peintres, sculpteurs, ferronniers, céramiste, etc., les détails architectoniques s’épurent, laissant dominer les formes géométriques primaires, le cercle, le carré, le triangle, tandis que les plans s’ordonnent de façon classique et symétrique. Une des premières réalisations de ce style « Art déco » est due à la générosité d’un philanthrope américain, Andrew Carnegie, avec la bibliothèque de Reims (1921-1928) qui porte son nom. C’est l’architecte rémois Max Sainsaulieu qui sera en charge du projet auquel collabore les maîtres-verriers Jacques Gruber, artiste de l’École de Nancy, ainsi que le rémois Jacques Simon, auteur du magnifique lustre du hall d’entrée.
Pour quelques projets engagés avant-guerre, si la structure de l’enveloppe reste la même, elle s’enrichit de décors nouveaux dans le style Art déco. Ce sera le cas avec l’église Saint-Louis de Vincennes (1919-1927), dont le projet des architectes Jacques Droz et Joseph Marrast est retenu fin 1912 par la Commission diocésaine d’architecture. Le chantier commencé en 1913 est interrompu par la guerre. Il ne reprend qu’en 1919, et ce n’est qu’en 1921, une fois le bâtiment mis hors d’eau et hors d’air, que les artistes chargés de la décoration sont désignés : Maurice Denis et Henri Marret (fresques), Raymond Subes (ferronnerie), Maurice Dhomme (céramiques), des artistes que l’on retrouvera collaborant avec d’autres architectes durant toute la période Art déco.
En 1925, au milieu de l’entre-deux-guerres, se tient à Paris l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, qui va donner son nom à ce courant artistique. Cet événement est dominé par les pavillons construits avec des architectes et décorateurs de renom : Pierre Patout, Michel Roux-Spitz, Albert Laprade, Jacques-Emile Rhulmann, pour n’en citer que quelques-uns. Ce sera l’apothéose d’une architecture où tous les artistes sont convoqués au service d’une œuvre collective. Ce sera le début d’une querelle avec les « puristes », puis les « modernistes », dont Le Corbusier est le représentant le plus ardent, notamment avec son pavillon de l’Esprit nouveau lors de cette même exposition ; il y présente le polémique et radical plan Voisin (2) pour Paris. Il publie la même année l’ouvrage L’art décoratif d’aujourd’hui (3) dans lequel il taille des croupières au rappel à l’ordre et à la tradition classique.
Durant ces deux décennies, de 1918 à 1938, vont s’affronter les tenants d’une tradition plutôt élitiste, un « art à la française » défendu par des architectes formés par l’enseignement académique de l’École des beaux-arts de Paris, face aux avant-gardes qui, depuis la révolution russe de 1917, prônent un « art international » porté par des architectes modernistes issus du Bauhaus ou autodidactes comme Le Corbusier. Cette volonté de modernité est ensuite représentée en France par l’Union des artistes modernes (UAM) qui réunit, entre autres, Robert Mallet-Stevens, Jean Prouvé et Charlotte Perriand. Au milieu de ce remue-ménage artistique avec le cubisme et le mouvement dada, les Années folles sont confrontées aux « années d’ordre », où le conservatisme fait face au modernisme (4). Loin d’être radical, et voulant prouver sa modernité notamment sur les aspects sociétaux, l’Art déco oscille entre les deux, et ses représentants ne sont pas tous des nostalgiques, tournés vers le passé.
Les nouveaux moyens de transport, les paquebots transatlantiques, l’automobile et l’aviation, les nouveaux matériaux, le béton, l’acier, le plastique et le verre de grande dimension, sont mis à l’honneur. Dans le même temps, la modernité dans le quotidien prend sa part au premier Salon des arts ménagers de 1923 à Paris. Les programmes publics témoignent également de cette ouverture au modernisme, comme l’aérogare du Bourget (1935-1937) de Georges Labro avec le concours du peintre Lucien Martial, ou la gare de Lens, détruite durant la Première Guerre et dont le nouveau bâtiment aux techniques innovantes, de l’architecte Urbain Cassan, est inauguré en 1927.
Cette période de l’entre-deux-guerres est également celle de la mise en valeur des colonies avec le sentiment du bien-fondé de l’œuvre civilisatrice de la colonisation, culminant avec l’Exposition coloniale de 1931 à Paris. C’est à cette occasion que sera construit le palais de la Porte-Dorée par l’architecte Albert Laprade, avec le concours de nombreux artistes parmi lesquels le sculpteur Alfred Janniot, auteur de la monumentale fresque sculptée dans la pierre couvrant toute la façade principale. On retrouvera ce sculpteur peu après pour les bas-reliefs de la mairie et de l’hôtel des postes de Puteaux (1931-1934), œuvre des architectes Edouard et Jean Niermans.
Vincent du Chazaud, le 13 octobre 2024
Bibliothèque Carnegie à Reims
Église Saint-Louis de Vincennes Palais de la Porte Dorée à Paris
Gare SNCF de Lens Hôtel de ville de Puteaux
1 Texte extrait de l’ouvrage à paraître le 23 octobre 2024, « Art déco / Cinq bâtiments emblématiques » aux éditions du Moniteur.
2 Ce projet d’urbanisme pour la rive droite de Paris séduisit le constructeur d’avions et d’automobiles Gabriel Voisin, qui finança l’étude. Le Corbusier, prenant en compte le développement de l’automobile, remodèle l’urbanisme en rasant la ville haussmannienne pour y implanter des tours cruciformes. Ce projet utopique et provocateur d’un jeune architecte ambitieux préfigure les grandes rénovations urbaines de l’après-guerre.
3 Le Corbusier, L’Art décoratif d’aujourd’hui, Paris, Crès, 1925, rééd., Paris, Flammarion, 1996.
4 Voir Liot (David) (dir.), Années folles, années d’ordre : l’Art déco de Reims à New York, Paris, Hazan, 2006.
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