BILLET n° 198 – L’AGENCE-ENTREPRISE PERRET EN ALGÉRIE : du béton expérimental (cathédrale d’Oran, 1908) au béton maîtrisé (basilique du Sacré-Cœur d’Alger, 1963). 1/3
NB : Ces trois billets (n°198, n°199 et n°200) ont fait l’objet d’une communication au colloque « Auguste Perret, 1874-1954 : un anniversaire », organisé conjointement par la Fondation Auguste Perret, l’Académie des beaux-arts et le Conseil économique, social et environnemental, et qui s’est tenu au Palais de l’Institut de France le jeudi 28 novembre 2024, et au Palais d’Iéna le vendredi 29 novembre 2024.
Pour les Perret, agence et entreprise, on parle de leur activité en Algérie en « deux temps » (1), je modifierais bien ce découpage en y ajoutant un troisième.
Premier temps, à Oran au début du XXème siècle, avec la figure tutélaire d’Albert Ballu, architecte diocésain d’Alger et d’Oran depuis 1876, architecte en chef des monuments historiques de l’Algérie depuis 1889.
En 1901, les frères Auguste et Gustave Perret quittent sans diplôme l’École des Beaux-arts de Paris pour rejoindre l’entreprise familiale « Perret et fils » qui deviendra « Perret frères » à la mort de leur père Claude-Marie Perret en 1905. Ils ne sont ni architectes, ni entrepreneurs, ils sont architectes-entrepreneurs, mieux ils sont « constructeurs » . (2)
Les liens qui unissent Claude-Marie Perret et Albert Ballu remontent au chantier de ce dernier pour le palais de justice de Charleroi en Belgique (1880), puis du pavillon de l’Algérie à l’Exposition universelle de 1900 à Paris, prémices d’une collaboration qui va se prolonger jusqu’en Algérie.
En 1902, Ballu aura été un soutien au projet d’Auguste et Gustave Perret pour le théâtre d’Oran qui, malgré trois variantes et un coût compétitif, ne résistera pas au projet de l’architecte lillois Léonce Hainez soutenu par la municipalité.
Cette même année 1902, c’est l’entreprise Perret qui essuie un échec lors de l’appel d’offres pour la construction de la cathédrale d’Oran. Malgré le soutien de son architecte, Albert Ballu à nouveau, c’est l’entreprise Cottancin et Garcin qui est retenue car moins-disante. Mais en 1908 l’entreprise Perret frères est appelée par Ballu pour terminer ce chantier avec l’utilisation du béton armé, le procédé Cottancin s’avérant impossible pour la construction des voûtes et coupoles, ou jugé comme tel, ce qui permet à Ballu de remettre en selle l’entreprise Perret.
Le savoir-faire acquis sur ce chantier de la cathédrale d’Oran (1908-1912) leur sera utile au théâtre des Champs-Élysées (1910-1913). Pour Jean-Pierre Cêtre et Franz Graf, je cite, « il est indéniable que sans l’épisode Cottancin à Oran les Perret auraient connu une tout autre fortune ». Ils poursuivent en écrivant que le béton armé utilisé à Oran, outre ses capacités techniques, est, je cite, « un matériau de captation stratégique de la commande que les frères Perret manieront avec maîtrise par la suite. » (3)
C’est peut-être au cours de ses visites de chantier qu’Auguste Perret a pu être initié à l’archéologie par Albert Ballu, architecte en chef des monuments historiques, en lui faisant découvrir ses travaux de fouilles sur les sites et vestiges antiques d’Algérie . (4)
C’est aussi à cette époque que l’entreprise Perret réalise pour Ballu les pavillons éphémères de l’Algérie aux Expositions coloniales de Liège (1905) et de Marseille (1906), ainsi que celui pour l’Exposition franco-britannique de 1908.
Puis suit une période stérile d’une quinzaine d’années pour l’agence-entreprise Perret en Algérie, occupée par son implantation au Maroc avec la création d’une filiale. Celle-ci expérimente les premières voûtes minces sur les entrepôts Wallut de Casablanca (1914-1917), procédé breveté et repris en 1923 pour l’église du Raincy.
Vincent du Chazaud, novembre 2024.
1 David Peyceré, « L’Algérie en deux temps » , in Construire au-delà de la Méditerranée. L’apport des archives d’entreprises méditerranéennes (1860-1970), sous la direction de Claudine Piaton, Ezio Godoli et David Peyceré, Éditions Honoré Clair, Arles, 2012, pp. 47-48.
2 « Ils (Auguste et Gustave Perret) instauraient dès ce moment cette fonction nouvelle qu’attend l’époque : le Constructeur ; ni l’ingénieur seul, ni l’architecte seul, mais tous les deux dans un tout responsable » (Le Corbusier à propos de la cathédrale d’Oran, L’Architecture d’Aujourd’hui, III, 1932, n°7, P.7).
3 Jean-Pierre Cêtre et Franz Graf, « Oran : le chantier de la cathédrale comme leçon structurelle et commerciale », in Encyclopédie Perret, sous la direction de Jean-Louis Cohen, Joseph Abram, Guy Lambert, Monum Éditions du Patrimoine, Éditions Le Moniteur, Paris, 2002, pp. 75 à 78.
4 « Il visita l’Afrique du nord et ses grandes ruines romaines. Il devint amoureux de la « Vénus » de Cherchell. Il étudia particulièrement ces deux pôles de l’architecture que sont le Parthénon et Sainte-Sophie », DORMOY Marie, «Auguste Perret », in Souvenirs et portraits d’amis, Editions Mercure de France, Paris, 1963.
La bibliothèque d’Auguste Perret confirme son attrait pour les ruines antiques (publication de Ballu sur Djemila).
Cathédrale d’Oran (vers 1909/1910)
Cathédrale d’Oran (vue aérienne)
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