Billet n° 114 – Paul Andreu (1938-2018)

 

Paul Andreu a pris son envol pour un autre monde voilà quelques jours, y est-il encore architecte d’aéroports? Je l’ai connu dans les années 1990, je travaillais alors « à » et « pour » Aéroports de Paris (ADP), passant d’un statut de salarié à celui de sous-traitant durant près de quatre années.

Mon premier travail, ce sera sur le projet de la connexion des aérogares 2 et 3, avec au milieu ce qu’on appelait « le module d’échanges », soit une belle plâtrée de spaghettis comprenant gares TGV et RER, hôtel, commerces et tri bagages… un vrai casse-tête chinois pour architectes et polytechniciens, Andreu cumulant les deux ce qui, bien que de petite taille, lui donnait de la hauteur par rapport à l’aéropage qui l’entourait.

A côté de notre équipe, d’autres œuvraient sur l’extension de Roissy, les terminaux E et F, sur des aérogares à l’étranger, mais aussi, et cela monopolisait beaucoup de monde et d’énergie, la fin du chantier de l’arche de la Défense, concours remporté par l’architecte danois Spreckelsen, dont l’ingénierie et le chantier avait été confiés à ADP pour le centenaire de la Révolution en 1989… Tout ADP était alors en effervescence. 

 

Fort de l’expérience acquise grâce à ses architectes-ingénieurs, Vicariot d’abord pour Orly, Andreu ensuit pour Roissy, ADP a exporté son savoir-faire dans le monde entier. Le projet d’aéroport de Kansaï au Japon a été construit par Piano sur un programme établi par Andreu avec ADP, Le Caire (dont il eut la surprise de voir que le bâtiment était démoli un jour en consultant Google earth), Abou-Dabi et d’autres ont été dessinés à ADP. Je me souviens avoir travaillé sur les aérogares de Pointe-à-Pitre, beaucoup et depuis les esquisses, Fort-de-France, un peu et depuis le DCE, mais aussi sur les aérogares de Harare et de Tachkent. Tout ça était enthousiasmant, même si parfois les voltes-faces du « chef » étaient lassantes, certaines décisions surprenantes, notamment quand l’esthétique tordait le cou à la fonctionnalité… en fait nous mettions à l’épreuve du dessin ses visions architecturales confrontées aux programmes, parfois ça faisait des étincelles, parfois ça faisait des bouchons, et entre les deux il y avait parfois la frustration de ne pas être entendu. Ici je faisais plutôt de l’architecture que je n’étais architecte, et je n’étais pas mécontent de partir trois jours par semaine retrouver ma petite agence de province, où là j’étais « architecte de peu ».  Mais c’est sans doute toujours ainsi quand on travaille dans une grosse agence et sur d’importants projets… et l’un des talents d’Andreu était de tenir, avec une main de fer dans un gant de velours, cette soixantaine d’architectes employés à ADP, ce qui n’est pas une mince affaire. C’est que cet ingénieur était doublé d’un artiste, d’ailleurs dans les dernières années de sa vie Andreu s’adonnait à la peinture, à quatre pattes sur ses toiles. Il disait qu’à ses débuts à ADP, quand il construisait des pistes à Orly il suivait en même temps les cours aux Beaux-arts le soir. 

C’est son nom et sa « patte » qui se sont imposés durant une quarantaine d’années sur cette structure unique en France qu’est le département architecture d’ADP, avec celle d’ AREP-SNCF et Jean-Marie Dutillheul, X-ponts comme lui, imposant « son » architecture et laissant peu de place à la créativité de ses collaborateurs, sinon pour les prendre à son compte après quelques entorses. Mais il n’a jamais oublié de citer ses collaborateurs, que ce soit dans ses projets comme sur le sol du terminal F de l’aérogare de Roissy où sont gravés les noms de tous les collaborateurs ayant travaillé sur le projet, ou dans le livre paru en 1990 aux éditions du Moniteur « Paul Andreu » où sont cités tous les salariés de l’équipe ingénierie d’ADP. N’y étant pas car avec un statut de « sous-traitant » à l’époque, il me l’offrit avec une belle dédicace. Cette expérience dans l’agence d’architecture d’ADP m’a permis de faire des rencontres de gens exceptionnels, deux sont restés des amis fidèles et attachants. Rien que d’avoir trouvé cette amitié cela valait la « peine » d’avoir travaillé sous la houlette de Paul Andreu. C’est là un cadeau inestimable et précieux.

 

Paul Andreu a conçu l’Opéra de Pékin, un projet qui lui tenait beaucoup à cœur, sans doute pour sa symbolique, une goutte d’eau entrant, ou sortant, d’une masse liquide. Il n’était plus dans un projet de la rencontre de l’air avec la terre, mais de l’eau avec la terre. Lui manquait plus que le feu, qu’il avait sacré et modeste aussi. La Chine a été sa dernière « plate-forme » pour construire. Ce pays semble être comme une reconnaissance de leur réussite pour les architectes aujourd’hui, un peu comme la montre « Rolex » au poignet des publicitaires enrichis… Etait-ce le cas pour Andreu ? Je ne pense pas, les preuves étaient faites de sa capacité de travail et d’organisation, et les Chinois lui ont ouvert les portes du pays du Milieu pour cela. Il y a réalisé d’autres projets, comme le Centre d’Art oriental de Shanghaï et le Centre culturel et artistique de Suzhou, et au Japon le musée maritime d’Osaka. 

 

On se souvient, peut-être, du lynchage médiatique dont fit l’objet Andreu lors de l’effondrement en 2004 d’une passerelle d’embarquement sur Roissy, le module E  je crois[1]. Ce haro était inopportun, absurde, et donne à voir la méconnaissance des gens en général, des journalistes en particulier, sur le partage des tâches dans le bâtiment et la complexité de sa réalisation. Ce drame l’avait meurtri, il en a dit : « j’ai essayé d’être aussi honnête que possible, en pensant d’abord aux quatre personnes qui y ont perdu la vie. Bien sûr, je pleure mon ouvrage, mais je n’ai jamais inversé les choses. C’est une épreuve qu’il faut traverser sans s’en prendre aux autres et sans assumer des fautes que l’on n’a pas commises. Cet accident a bloqué tout mon travail en France ».J’avais pensé alors lui écrire un mot de soutien… je ne l’ai pas fait, pensant : « qui suis-je pour lui témoigner ma solidarité ? » J’ai rapproché cela de la blessure ressentie par Jean Bossu, je le tiens de son fils Jean-Michel, après les articles l’accablant lors du tremblement de terre de 1980 dévastant El-Asnam en Algérie, ville qu’il avait contribuée à reconstruire après le séisme de 1954, alors Orléansville.

 

 

Vincent du Chazaud, 30 octobre 2018   

 

 

 

[1]Au terme de 13 ans d’enquête, Aéroports de Paris, GTM, Ingerop et Bureau Veritas seront jugés en décembre 2018 à Bobigny pour l’effondrement du terminal 2E de l’aéroport de Roissy, qui avait fait quatre morts en 2004. Les quatre entreprises, Aéroports de Paris (ADP), le constructeur GTM, filiale de Vinci, le bureau d’études Ingerop et le groupe d’inspection et de certification Bureau Veritas, sont renvoyées devant le tribunal correctionnel pour homicides et blessures involontaires (…) Le 23 mai 2004, moins d’un an après son inauguration, une partie de la voûte du terminal 2E de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle s’était effondrée sur une trentaine de mètres, tuant quatre voyageurs (…) sept personnes avaient également été blessées (…) Il est reproché aux sociétés poursuivies d’avoir sous-estimé la faible résistance de la voûte en béton armé de cette structure. Le terminal 2E, dessiné par l’architecte Paul Andreu, également concepteur de l’opéra de Pékin, avait représenté un investissement global de l’ordre de 650 millions d’euros pour ADP, dont 150 millions d’euros pour la jetée d’embarquement où l’effondrement avait eu lieu. Les experts ont évalué à 50% la part de responsabilité technique d’ADP, contre 25% pour Ingerop, 15% pour GTM et 10% pour Veritas (source : Le Moniteur du 20/02/18).