Il y a quelques semaines, un lundi soir 17 avril, c’était l’effroi devant le beffroi léché par les flammes de l’incendie des combles de la cathédrale de Paris. Les bois de charpente du 13ème et ceux du 19ème siècle faisaient une flambée jaune et orange dans le ciel gris, comme dans un beau feu de cheminée, mais celui-ci était horrible. La flèche, comme une tuyère, aspirait les flammes vers le haut, avant de s’effondrer et de lâcher au loin le coq qui la dominait, rendu (presque) intact au pied de l’autel comme une humble offrande.
Les pompiers ont dit que le feu dans les tours aurait engendré leur effondrement, ainsi que la ruine quasi totale de l’édifice de pierre. On a une pensée pour tous ces apprentis, compagnons, maîtres, chacun dans son métier d’une compétence parfaite, qui ont œuvré ici au cours des siècles. Macron, en maître d’ouvrage pressé, veut faire accélérer le chantier comme pour un centre commercial… pourquoi cinq ans de travaux quand il en fallut deux siècles pour la construire, sans parler des vingt années du chantier de Viollet-le-Duc ?
Les investigations pour connaître l’origine de l’incendie seront longues, les accès sur les lieux de départ de l’incendie difficiles, et encore si les restes calcinés et fumants peuvent encore parler. Comme la violence de ce feu fut soudaine, et sa propagation rapide ! La flèche en flamme a fini par chuter en trouant la voûte en pierre, le feu s’est rapidement propagé sur les charpentes de la nef et du chœur, le plomb fondu s’est écoulé dans les rigoles, et les gargouilles diaboliques regardaient en contrebas la foule horrifiée pendant que les flammes leur léchaient le dos…
Passé le temps de la stupéfaction et de la compassion, vient celui de la passion et des dons, avant celui de la raison : tout de suite on fait savoir que monsieur A., homme d’affaire à la frontière belge, offre 200 millions d’euros pour sa reconstruction, quant à madame Z., retraitée du Cantal, elle offre 20 euros, et ainsi de suite en France et en Navarre, en Belgique et dans le monde entier. L’écart des dons est important, mais lequel des deux fera le plus gros sacrifice par cette amputation sur son budget, 200 millions d’euros pour une fondation aux revenus d’un état, ou 20 euros sur le revenu mensuel de 868,20 euros d’une retraitée ?
Puis viendront un premier diagnostic pour conforter et enlever ce qui menace de tomber ou bien est irrécupérable, voûtes, échafaudages, etc. puis un deuxième diagnostic plus précis pour la reconstruction, avant les études sur les différentes options techniques, en fonction de ce que l’on veut donner comme vision de cet édifice : à l’identique en volume de la cathédrale de Viollet-le-Duc ou de celle du Moyen-âge, et avec des matériaux très lourds comme le plomb, qui font masse face aux intempéries, ce qui implique une mise en œuvre longue ? A l’identique dans sa silhouette d’avant l’incendie, avec les techniques et matériaux disponibles aujourd’hui, plus légers et plus rapides à mettre en œuvre, moins chers aussi, comme ceci a été fait pour les charpentes des cathédrales de Reims en béton, ou celle de Chartres en acier ? Modifier sa silhouette comme ceci a été pour la cathédrale de Metz, dont l’architecte a surélevé la toiture d’origine disparue ? Un exemple est donné ici en image, avec une interrogation : que peut bien signifier ce « M » ?…
Pour moi qui n’ai pas beaucoup changé depuis le début des années 1950, je ferais appel à l’esprit de Le Corbusier et à celui de Jean Prouvé. Le premier pour le béton afin de reconstruire les voutes effondrées. On se souvient que dans son plan radical pour un nouveau plan d’urbanisme sur Paris, alors qu’il était impitoyable avec le 19ème siècle haussmannien, il avait eu pour Notre-Dame un respect absolu. Quant à Jean Prouvé, les « feux » qui le guidaient, économie de matière, rapidité de montage, facilité de mise en œuvre, tout ceci est réellement en adéquation avec ce défi pour ériger à nouvelle flèche dans le ciel de Paris. Mais ce ne sont que mes vues bloquées aux années 1950, alors que nous sommes en 2020 bientôt, à l’ère des toitures terrasses végétalisées, du voltaïque et de recherche de sponsors privés : un exemple nous en est donné en image. Paris manque de logements sociaux, l’abbé Pierre aurait peut-être proposé que l’église, retrouvant sa vocation première d’humilité et de venir au secours des plus miséreux, fasse campagne pour que l’on aménage sous les combles des logements pour les sans-abris et les immigrés…
Devant ce spectacle horrible mais fascinant de cette cathédrale en flammes, sont revenues les images du 11 septembre 2001 avec les tours jumelles du World Trade Center en flammes avant de s’écrouler sur elles-mêmes, avec ses conséquences humaines dramatiques, mais aussi les fascinantes peintures d’incendies, dont celles de William Turner immortalisant l’incendie du Palais de Westminster, le Parlement de Londres, le 16 octobre 1834. Turner loue une barque afin de voir l’incendie loin de la foule, et au plus près, comme un photographe de presse. Il réalise une série d’aquarelles, dont il tire deux tableaux, dont l’éblouissant « L’Incendie de la Chambre des Lords et des Communes, le 16 octobre 1834 ».
Vincent du Chazaud, avril et mai 2019