« En revenant de l’expo », c’est un billet d’humeur à propos d’expositions dans la région
Midi-méditerranée. Alors pourquoi pas ce même titre pour un billet en revenant du Louvre-
Lens ce samedi 22 juin, et de son exposition sur Homère.
Homère, ô mère ou père de la poésie ! Car nous ne savons pas qui se cache derrière ce
nom, est-il un ou une, ou plusieurs poètes qui ont forgé cette épique épopée en deux
parties : l’Iliade, bataille dix années durant sous les remparts de Troie, le colérique Achille
« aux pieds légers » menant les Grecs, un véritable carnage pour les beaux yeux d’Hélène,
et l’Odyssée, le retour d’Ulysse, roi d’Ithaque, « l’homme aux mille ruses », vers sa patrie où
l’attend depuis vingt années sa fidèle Pénélope. Homère, « prince (ou princesse) des
poètes », dont on a tiré l’adjectif « homérique » qui devrait exister dans toutes les langues,
synonyme d’audacieux, d’épique, d’héroïque, de valeureux et j’en oublie(1) de plus lyriques et
vertueux encore, adjectifs que nous n’avons plus guère l’occasion d’utiliser aujourd’hui…
Du temps où nous faisions nos « humanités », le latin et le grec y avaient toute leur place. Il
m’en reste « gnoti seauton », le « connais-toi toi même » de Socrate qu’on retrouva plus tard
en cours de philosophie, à côté du « père » Platon dont les roustons sont célébrés dans la
poésie beauzartienne. M’en reste également, du moins en surface, ce qu’un malicieux curé
professeur de grec se plaisait à nous répéter, sûr qu’avec cela cette langue « morte »
revivrait en nous : « ouk elabone poline, alagar apassi, elpis ephe kaka ». Après un demi siècle,
cette phrase alignant des mots de grec ancien, pratiquement intraduisible, est le seul
substrat qui me reste de cette langue dite « morte », avec « ta zoa trekei », qui ne veut pas
dire « les oies tricotent », mais « les animaux courent »… Dans la langue française résistent
encore quelques mots avec des racines grecques, à condition de bien vouloir encore parler
« français » et non pas « franglais » ou raccourcis « texto ».
Sur le tard, à la fin des années 1990, j’ai pris le chemin de l’université pour étudier l’histoire
de l’art ; j’ai encore un doux souvenir des cours à la Sorbonne, notamment ceux d’un
« vieux » professeur Philippe Bruneau qui faisait salle comble(2), ouvrant mille portes à nos
imaginaires et nos questionnements actuels à partir de quelques peintures sur vases ou
amphores, ainsi que ceux d’un jeune professeur, Alexandre Farnoux, sur le thème des
« Jeux dans la Grèce antique ». Ses cours étaient vivants, suivis avec passion, on aurait cru
écouter un chroniqueur des jeux olympiques des années 2000, alors que nous étions cinq
siècles avant Jésus-Christ. J’ai souvenir de ces sauteurs en longueur, armés de poids dans
chaque maison, comme deux fers à repasser. On aurait pu penser ou croire que l’homme
grec prenait part dans le gynécée aux tâches ménagères… il n’en était rien. Ces poids
projetés en avant à bout de bras en même temps que l’homme s’élançait dans les airs,
permettaient (peut-être) de sauter plus loin… Il faudrait aujourd’hui réintroduire cette
discipline au saut en longueur, on a bien introduit la perche pour le saut en hauteur !!!!
J’ai eu l’heureuse surprise de constater qu’Alexandre Farnoux(3) était un des commissaires de
cette exposition exemplaire sur Homère. Les épopées de l’Iliade et de l’Odyssée, puisque ce
sont les deux seules œuvres (mais quelles œuvres !), belles, denses et mystérieuses,
attribuées à Homère, qui sont exposées et décrites à travers des pièces archéologiques,
mais aussi à travers ce que les artistes et les écrivains en ont pris au cours des siècles
jusqu’à aujourd’hui, soit sur plus de 2.500 ans : c’est le « miracle » de l’Iliade et de l’Odyssée.
Dans la première salle, une toile blanche griffonnée de rouge peinte en 1962 par
Cy Twombly est présentée, « Achille pleurant la mort de Patrocle », au milieu des sévères
statues des dieux de l’Antiquité, dont celle de la Muse de la Rhétorique, Polymnie, dont
Homère réclame l’inspiration à chaque épopée. Beaucoup de peintures du 19ème siècle, les
scènes de l’Antiquité étant des thèmes de prédilection de cette époque. Un regret, que ne
soit pas accrochée une affiche annonçant un bal des 4z’arts, où les thèmes antiques, khmers
et barbares ont inspiré des illustrateurs de grand talent. Grâce à Jacques Roman, qui
conserve une belle collection (à ne pas mettre entre toutes les mains) de ces affiches, j’en ai
trouvé une pour le bal de 1936 ayant un rapport avec notre sujet.
Il serait injuste de terminer ce billet sans mentionner que cette visite au Louvre-Lens se
faisait dans le cadre des sorties de la Compagnie organisée cette année de main de maître
par Fabrice Mazaud, avec une magistrale présentation du projet architectural de l’agence
Sanaa par Michel Levi, qui fut architecte d’opération avec l’agence Extra-muros. La clarté de
son exposé reflétait la limpidité du plan et la pureté de l’architecture, loin des gigotages de
Frank Gehry. Il conclut son exposé par une « chinoiserie » : « Quand on sait, on fait, quand
on croit savoir, on enseigne, quand on ne sait pas, on conseille ». L’expertise peut-elle
trouver une place dans ce proverbe, et si oui, laquelle ? A la fin des agapes a été entonné,
comme la tradition l’exige, « l’Hymne à la joie » des architectes, le « Pompier » ; c’est là,
souvent, un exercice où les anciens surpassent les nouveaux en vivacité… Il fut dédié à
notre massier Jean-Pierre Blancard de Léry, dont nous avons tous regretté l’absence, et au
personnel de cuisine. En effet, le repas servi fut apprécié, et à la fin de chaque plat les reliefs
de nos assiettes furent le vibrant reflet de la qualité des mets qui nous ont été servis.
L’après-midi la visite du musée fut conduite par la directrice du musée, Marie Lavandier, qui
compléta les propos du matin en exposant comment ce musée a pu voir jour à Lens, les
conditions de son implantation, son accueil dans cette région sinistrée après la fermeture des
mines, la contribution du musée à la mutation inéluctable de la région. Mais pour une visite
plus complète, et notamment de la «Galerie du temps », je vous renvoie à un précédent
billet, le numéro 91 de septembre 2016 intitulé « Le beau ».
Vincent du Chazaud, le 22 juin 2019.