1- LES DEBUTS DE LA COLONISATION : IMPORTATION DU MODELE EUROPEEN
Ô lecteur, toi parmi si peu de lecteurs, mais raison de plus pour ne pas te lâcher, pardonne ce long silence, le dernier billet remontant à juin, de cette année 2019 tout de même… Pris par diverses tâches, épistolaires, ménagères, rancunières… mais aussi expertales, viscérales, sentimentales… et bien d’autres encore, je n’ai pas trouvé le temps : où se cachait-il ? Qui l’avait pris ? Même ne rien faire, ça prend du temps… J’en ai trouvé un peu, mais ce peu de temps je l’ai occupé à écrire une « histoire de l’architecture moderne en Algérie, de 1830 à aujourd’hui ». Près de 300 pages d’une écriture serrée, mais il faudrait en écrire trois fois plus si l’on voulait être exhaustif. Alors pour rattraper le temps perdu, durant quelques billets je te propose des bribes de ce texte, ainsi ô lecteur, si tu veux bien me lire, tu me serviras de cobaye. Voici le premier billet de cette série, mais le 124ème depuis que ceux-ci paraissent, intitulé : LES DEBUTS DE LA COLONISATION : IMPORTATION DU MODELE EUROPEEN (décennies 1830-1860).
Quand Michel Ragon écrit[1] à propos de l’architecture en Afrique du Nord : «L’Algérie n’a pas eu son Lyautey, mais au contraire des administrateurs qui se sont attachés à transformer une admirable région du Maghreb en départements français avec des villages calqués sur ceux d’Auvergne ou de Corse. Contre ce génocide architectural, des hommes comme Le Corbusier ont voulu apporter leur modernité », le terme de « génocide » est mal choisi, car à quelques exceptions près, même si ces destructions à des fins militaires sont importantes symboliquement, comme celle du quartier de la Marine dans la basse Casbah d’Alger, il ne s’agit pas de « destruction » mais de « construction » à côté des douars et médinas arabes, et effectivement, comme le souligne Ragon, ces villages nouvellement construits sont « calqués » sur ceux de régions françaises.
ALGER FIN XIXe
C’est d’ailleurs le même urbaniste qui œuvra au Maroc sous Lyautey, Henri Prost, qui traça le plan régional d’Alger entre 1932 et 1939 avec Maurice Rotival. Dans les médinas, centres urbains déjà constitués par les Arabes ou les Turcs, les extensions se sont opérées à côté ou autour, non sans quelques destructions quand c’était nécessaire, comme pour toutes les extensions urbaines en métropole au cours des siècles, et notamment au 19ème siècle à la suite de la révolution industrielle. En Algérie, la transformation s’est faite brutalement par la force militaire, et non par la force industrielle. Et c’est le génie, une des composantes de l’armée de terre dont les missions sont de combattre, de construire et de protéger, qui va se charger des premiers établissements civils et militaires sur les territoires conquis, durant plus d’un demi-siècle.
En ville, la lutte est féroce pour la conquête de nouveaux territoires entre l’armée, les autorités civiles et les promoteurs privés. Les militaires, forts de leurs succès dans cette guerre coloniale, ne veulent pas s’en laisser compter par les civils, d’autant que sur le terrain, la conquête ne sera effective que vers 1860, sans compter les révoltes sporadiques qui éclosent jusqu’à la fin du 19ème siècle.
A Alger, le contrôle des terrains en périphérie de l’enceinte ottomane reste militaire, et la situation dans les faubourgs reste dangereuse pour les colons. Comme dans les campagnes et les petites villes, on le verra plus loin, l’occupation des terrains, leur lotissement et leur affectation, ne peuvent se faire qu’avec l’accord des militaires et sous leur protection. Ce n’est que lorsque que la « pacification » rendra moins nécessaire le rôle de l’armée, que celle-ci retire progressivement son autorité et rétrocède ses terrains aux civils.
Les ingénieurs du Génie, de par leur formation, s’intéressent à l’histoire et à la géographie des territoires conquis. Aussi en 1844, quand Bugeaud, alors gouverneur général, veut définir des règles de constructions en Algérie, c’est à la direction du Génie qu’il s’adresse. Le colonel Charon, directeur du Génie en Algérie, lui communique une longue note[2], dans laquelle il insiste sur la nécessité de bien analyser les usages et les coutumes, lesquelles permettront de comprendre leur utilité. Après avoir fait cette analyse fine de l’architecture locale, Charon donne des indications pour le tracé des villes et la construction des édifices publics. Pour les voies, il recommande « d’éviter de percer du nord au midi » et de créer des rues avec « assez d’ombre pour garantir des ardeurs du soleil » en les bordant de portiques ou de toits saillants, « en ayant soin de les tenir le moins large possible, et de les rafraîchir par un courant d’eau vive. » Il en est de même pour les places publiques qui devront être petites et entourées de portiques, et quand elles seront grandes, « de les planter d’arbres et de les décorer de fontaines. » Le colonel Charon poursuit en prodiguant des conseils sur les constructions, indiquant que « pour une fraîcheur convenable, il faudra donner aux murs extérieurs une grande épaisseur », quant aux ouvertures notamment celles au midi, elles seront « rares et petites ». Il donne également des recommandations pour prévenir des tremblements de terre, éviter de multiplier les baies et conduits de cheminées, construire les niveaux bas sur voûtes, relier les bâtiments par des arcades facilitant en outre, « les moyens de tendre des bannes à l’heure des la grande chaleur, comme c’est l’usage dans l’Orient et même dans les villes méridionales de la France. »
Mais les colons, quand cette architecture et cet urbanisme ne leur sont pas imposés, préfèrent se référer aux codes qui leur sont familiers, ceux de leur pays d’origine, marquant en même temps et au passage la présence du vainqueur.
Vincent du Chazaud, le 03 novembre 2019.
[1] RAGON Michel, « Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes, tome 3, de Brasilia au post-modernisme 1940-1991 », éditions Casterman, Paris, 1986, p.181
[2] PICARD Aleth, Architecture et urbanisme en Algérie, d’une rive à l’autre (1830-1962), in Revue du monde musulman et de la Méditerranée, volume 73, numéro 1 «Figures de l’orientalisme en architecture », 1994, pp. 123, 124