BILLET n° 138 – ARCHITECTURE MODERNE EN ALGÉRIE
5-L’ARCHITECTURE APRÈS L’INDÉPENDANCE
5-2-Les premiers architectes algériens après l’indépendance : à la recherche d’une identité
De juin 1961 à juillet 1962, des négociations entre les parties jusqu’à l’indépendance, cette période est marquée par les accords d’Evian qui voient leur conclusion le 18 mars 1962, avec l’ordre du cessez-le-feu par le GPRA le lendemain. Durant les mois de mars à juillet 1962, s’ensuivent les dramatiques épilogues de cette guerre longue de huit ans, l’exode des européens, les exactions de l’OAS, le massacre d’Oran, les règlements de comptes entre Algériens ; c’est aussi et surtout pour le peuple algérien qui recouvre sa liberté l’immense espoir d’une société juste et égalitaire, liberté lui permettant de jouir équitablement des richesses de son pays et du fruit de son travail. Avec Ben Bella s’ouvre une période euphorique, parfois anarchique, celle des Algériens prenant possession des infrastructures administratives et économiques coloniales, aidés par la coopération française et celle des pays « frères » socialistes, l’Union soviétique et ses satellites. Puis l’ère Boumédienne, du putsch militaire de 1965 jusque dans les années 1980, va imposer un réalisme politique austère, avec un effort important pour l’éducation et la formation de la jeunesse, avec des visées étatiques ambitieuses, nationales avec l’industrie lourde et les hydrocarbures, internationales avec les pays non alignés et l’accueil des révolutionnaires tiers-mondistes. Par la suite des castes vont s’emparer des richesses de l’Algérie, des tensions sous couvert religieuses vont apparaître, entrainant le pays dans une spirale de violence fratricide dans la dernière décennie du 20ème siècle.
Après l’indépendance le peuple algérien a cherché à recouvrer son identité et sa culture, très diverse cependant, en effaçant, du moins en atténuant les traces de la civilisation colonisatrice. Les villes et villages dont les noms avaient été francisés ont retrouvé leurs noms d’origine, pour les villes et villages créés par les colons un nom arabe ou berbère leur est donné. Les rues, places, squares, sont débaptisées pour prendre les noms de martyrs de la révolution, rarement de penseurs, de philosophes ou d’artistes. Les statues glorifiant la conquête française sont déboulonnées, par exemple à Alger où Bugeaud est remplacé par Abd-el-Kader. S’interrogeant sur l’enrobage en béton par le sculpteur M’hamed Issiakem de l’imposant monument aux morts, le « Pavois », installé par les Français sur le Forum, Jean-Jacques Deluz écrit : « Mis à part que la chose est plutôt laide, je me suis souvent demandé si la démarche était juste, si certaines traces de la mémoire, parce qu’elles ont un contenu symbolique trop affiché, devaient être effacées ; si le fait d’accepter cela ne risque pas de justifier la démolition de toute trace de la colonisation, en particulier de l’architecture. »[1] Finalement cet effacement de l’ère coloniale atteindra peu l’architecture, à l’exception des édifices religieux. C’est alors que des mosquées, transformées en église ou cathédrale comme ce fut le cas de la mosquée Ketchaoua dans la basse Casbah, retrouvent leurs fonctions premières. D’autres édifices religieux, comme les églises construites durant la colonisation, sont détruits ou convertis en mosquées, ou transformés en centres culturels comme à Tlemcen, ou encore la cathédrale d’Oran devenue une bibliothèque.
La question du contenu idéologique et culturel à donner à l’architecture se pose à la nouvelle Algérie. Comme beaucoup de pays accédant à l’indépendance, la volonté des gouvernants de donner une image de modernité l’emporte souvent sur celle d’un retour aux traditions prises comme un frein au développement du pays neuf, et dont la colonisation a parfois effacé les traces. Cette quête entre tradition et modernité va constituer le débat majeur pour l’Algérie, qui va osciller entre les deux.
Se démarquer de la période coloniale en recherchant des références dans l’architecture traditionnelle islamique verra son apogée avec l’architecte Abderhamane Bouchama et son projet d’Institut islamique d’Hussein-Dey construit en 1972. Plus tard cette question se posera encore dans les années 1980, quand naîtra un conflit entre les acteurs de la construction et l’Etat, notamment quand les choix constructifs traditionnels ne cadreront plus avec les choix technologiques au niveau national, ce que relèveront les architectes Youcef et Boualem Lafer dans un article intitulé « Réflexions sur la pratique architecturale » paru dans la revue « Techniques et architecture » consacrée à l’Algérie[2].
Aux détracteurs de la situation de l’architecture en Algérie en 1980, l’architecte Jean-Jacques Deluz objecte[3] qu’en 1962 l’enseignement de l’architecture était inexistant, que seulement quelques boursiers étudiaient à l’étranger, que seulement deux architectes algériens étaient établis, et que les premiers diplômés de l’EPAU[4] étaient sortis en 1969 et devenaient opérationnels vers 1975. Durant cette période, l’architecture et l’urbanisme ont été confiés à des architectes étrangers dont beaucoup venus de la coopération ou avec des groupes de construction, et d’autres, des « grands noms » de l’architecture, appelés notamment sur d’importants programmes universitaires ; certains ont poursuivi l’architecture souvent banale et impersonnelle du Plan de Constantine, quand d’autres ont laissé une œuvre singulière et remarquable.
Vincent du Chazaud, le 8 août 2020
[1] DELUZ Jean-Jacques, Chronique urbaine, éditions Bouchène, Paris, 2001
[2] Techniques et Architecture, « Algérie », n° 329, février-mars 1980
[3]Techniques et Architecture, « Algérie », n° 329, février-mars 1980
[4] EPAU : École polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger. Après une période de flottement, en 1963 la section architecture de l’Ecole des Beaux-arts ouvre à nouveau grâce à l’énergie de Léon Claro et l’intervention d’Abderrhamane Bouchama, avec comme premiers enseignants Di Martino, Juaneda, Cottin-Euziol, Kopp puis Deluz en 1964, date à laquelle Léon Claro part à la retraite et quitte Alger. Bouchama avait baptisé ces premières promotions d’architectes « les Promotions de l’Indépendance », et il n’était évidemment plus question que les étudiants partent à Paris pour préparer et présenter leur diplôme.
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