BILLET n° 179 – ED KIT ET LE CONCOURS DES MILLE CLUBS DE JEUNES (1/2).
C’était par une grise fin de journée du maussade début de février. Un atelier illuminé en fond de cour, près des Batignolles, invitait à découvrir une exposition d’architecture inédite : les « ED-KIT ».
Les Ed-kit, qu’est-ce ? D’où cela vient ? Et de qui ?
Avant de parler de Ed-kit, il faut évoquer Ed-architectes[1]. Ed-architectes c’est la rencontre et la complicité de six copains de l’atelier Eugène Beaudouin à l’École des Beaux-arts, Daniel-Lucien Bertrand, Patrick Demanche, Philippe Dornier Alain-Brutus Peskine, Jean-Pierre Roullé, Yves-Michel Tixier. C’était avant 1968, et la désagrégation de cette école atypique, qui fut au 19ème siècle le temple de l’enseignement académique de l’architecture dans le monde, mais secouée périodiquement et remise en cause par des ingénieurs et architectes rationalistes. C’est ainsi que, pour contrer cet enseignement considéré comme suranné, le centralien Émile Trélat et Eugène Viollet-le-Duc fondent en 1874 l’École spéciale d’architecture du boulevard Raspail. Presque un siècle plus tard, c’est la mort de l’enseignement de l’architecture aux Beaux-arts avec l’éparpillement de ses restes dans des Unités pédagogiques d’architecture créée après le séisme de 1968. Ce qui mettait Paul Herbé, qu’on ne peut taxer de rétrograde, trépignant devant les étudiants en 1968 et leur disant : « Bande de cons, vous allez détruire la seule école dans laquelle on n’apprenait rien »[2].
Les co-ED ont prolongé en agence l’esprit des ateliers des Beaux-arts. L’École des Beaux-arts c’était l’art en fête avec le tonitruant bal des Quat’z’arts qui s’éteint en 1966. Il en est forcément resté quelque chose aux gars d’Ed… Ed-toi, le ciel t’aidera… ou aide-toi, Ed t’aidera… un travail d’équipe, des copains complètement soudés, où l’individualité, certes importante pour l’originalité, et dissoute dans le groupe pour mieux faire émerger une œuvre complète, finie, mais en même temps qui se dissout et prévoit sa propre ruine. Pas de prétention, on rigole et on est lucide… pas des fanfarons. Alain Peskine écrit, dans un article intitulé « Le mariage de l’Ordre et du Chaos » dans « Architecture Intérieure – Créé » de septembre 1981: « L’imagination d’un seul ne remplacera jamais le choc des imaginations de plusieurs ».
C’est un groupe dans lequel chacun travaille à son sujet, sous le regard des autres qui viennent y apporter leurs critiques, on se charrie et on rit. L’humour va balayer les égo mal placés, si tant est qu’il y en eut. L’humour va faire éclater le sérieux déplacé. L’humour va permettre de reculer les limites arbitraires… « Il est interdit d’interdire ». Ce sont des Petro-Dacois, des disciples de Pierre Dac. L’humour c’est garant de la solidité du groupe , un liant en toute circonstance, atténuant les conflits. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même les co-Ed fondent au milieu des années 1980 une société immobilière, Elmer Dwight Edouard. Facétie des co-Ed, le nom est celui d’un obscur architecte qu’ils tirent de l’ombre, fabriquant une légende sur ce personnage qui reste à écrire. Son buste martial devient leur totem et leur marque de fabrique, trônant dorénavant avec humour sur chacune de leurs réalisations.
Ces années 1970, c’est l’époque des agences pluridisciplinaires, comme l’AUA ou le Taller de Arquitectura, sauf que cette pluridisciplinarité elle est en eux : inutile de faire appel à un philosophe, un sociologue ou autre « logue », tout cela est en eux, l’humour en plus car tous ont été de brillants étudiants en humourologie. À la différence des autres agences d’architectes associés, l’AUA, l’Atelier de Montrouge, SCAU, où chacun signe son projet de son nom, chez Ed les projets sont de Ed-architectes, un point c’est tout. C’est aussi l’époque des expériences de vies communautaires, rurales et urbaines, transposées ici dans une agence où les familles, hommes, femmes, enfants, se retrouvent et forment un groupe solide et homogène.
Une de leur marque aussi, c’est le voyage, l’échange, aller voir ailleurs, pas seulement l’architecture « occidentale » des Etats-Unis ou du Canada, mais aussi celle en terre du Maroc ou de la Tunisie, celle des favellas de Rio. Un projet de Ed-international a démarré, avec quatre antennes, Ed-Rio, Ed-Bahia, Ed-San Francisco, Ed-Téhéran, mais elles ne résisteront pas à l’éloignement, au manque de travail ou aux soubresauts politiques. Mais c’est un témoignage d’ouverture au monde, et aux échanges culturels.
Alors que chacun vaquait à ses occupations dans cette marmite chauffée à blanc dans l’ancien garage de la rue Aumont-Thiéville qui leur servait d’agence, surnommée la « grande quincaillerie », les co-Ed remportent le deuxième concours des « 1000 clubs des jeunes » organisé en 1971 par le Secrétariat d’État à la Jeunesse, aux Sports et aux Loisirs. Ils en construiront près de 300 à travers la France, sans compter les dérivés en maisons individuelles, ou pour le Baby club du Club Méditerranée de Vittel (1975). Mais la réalisation la plus insolite, sinon la plus spectaculaire, fut celle pour leur agence rue Aumont-Thiéville, entre 1974 et 1977.
Vincent du Chazaud, 06 février 2024
Agence Ed provisoire (1974-1977) rue Aumont-Thiéville à Paris, installée dans un Ed-kit durant le chantier. Photo de droite on aperçoit le portrait de Elmer Dwight Edouard, totem facétieux de l’agence.
[1] Un livre formidable retrace cette saga dont le titre ED : Architectes Producteurs (auteur Pascale Blin, A Tempera éditions, Paris, 1991) pourrait signifier que « les moyens mis en œuvre seraient plus intéressants que le résultat obtenu » (préface de Jean-Pierre Ménard).
[2] Jean Prouvé par lui-même, propos recueillis par Armelle Lavalou, éditions du Linteau, Paris, 2088, p.122. Jean Prouvé ajoute : « Et c’était vrai. L’École des beaux-arts était une école dans laquelle il y avait un recrutement formidable. Il est évident que ce côtoiement d’intelligences tournait facilement aux discussions. Les étudiants faisaient donc leurs humanités à l’École des beaux-arts et il trouvait ça très bien, lui. C’est une pensée très élevée qu’il a eue là (…) »
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