BILLET n° 180 – ED KIT ET LE CONCOURS DES MILLE CLUBS DE JEUNES (2/2)

 

Alors qu’ils venaient de quitter la « grande quincaillerie », dont le terrain fait l’objet d’une opération immobilière qui leur permettra de créer les locaux de leur agence dans le projet, se pose la question de leur installation le temps des travaux, soit trois à quatre ans. En bordure du chantier, Ed-architectes se construit un Ed-kit. Ce Ed-kit monté en auto-construction est une démonstartion de sa modularité, sa flexibilité et sa singularité, ce qui le fait renter dans cette troisième décennie des Trente glorieuses, que l’historien Gérard Monnier appelait la période de « la croissance innovante ». C’est celle des concours lancés par l’Etat pour équiper la France qui, après avoir relevé le pays de ses ruines, puis logé les populations venues de l’exode rural et de l’immigration vers les bassins d’emploi (charbon, métallurgie, etc.), doit répondre aux besoins de la jeunesse issue du « baby-boom », explosion démographique de l’après-guerre qui modifie la pyramide des âges et remodèle la société.

Cette jeunesse, bouleversant l’équilibre démographique, prend une importance telle que sera créé en 1966 un ministère à son intention, celui de la Jeunesse et des Sports[1]. Son administration mettra sur pied des équipements attractifs, parfois innovants en termes programmatiques et techniques, afin d’occuper et de satisfaire les demandes nouvelles d’une jeunesse rentrant de plus en plus tardivement dans le monde du travail. Pour aller vite et combler le retard, l’Etat met en chantier une série de consultation regroupant concepteurs-constructeurs, afin d’avoir des modèles performants par leur fabrication et leur montage, ainsi qu’en terme de coût à la livraison (mais non en exploitation et entretien). 

En juin 1966, le ministre de la Jeunesse et des Sports François Missoffe lance une consultation pour la réalisation de prototypes architecturaux destinés à équiper la France de mille clubs de jeunes[2], cas d’école des politiques de modèles et prolongement des recherches inaugurées par Prouvé pour l’industrialisation du bâtiment. Il s’agit d’équipements socio-éducatifs de petite échelle, destinés aux quartiers et petites agglomérations, venant compléter les programmes de Maisons de jeunes et de la culture (MJC). Ces dernières trouvent leur origine dans les mouvements de jeunesse de la Résistance, créés en 1943 par le Commissaire à l’intérieur André Philip, et prenant la dénomination de « République des jeunes » à la Libération en 1944. Le 15 janvier 1948, elle devient la Fédération française des maisons des jeunes et de la culture, structure nationale cogérée par ses adhérents, son personnel et l’Etat. Sous l’impulsion de Maurice Herzog, secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, le nombre des Maisons de jeunes et de la culture (MJC) passe de 200 en 1958 à près d’un millier en 1965.

Le programme des « Mille clubs de jeunes » est un élan supplémentaire donné aux MJC à partir de 1967, et 2500 clubs seront livrés sur tout le territoire français en 1978, année qui voit les dernières réalisations. La première livraison, échelonnée sur quatre ans, concerne deux projets retenus (500 pour BSM et 630 pour SEAL) à l’issue de la construction de cinq prototypes à Ermont-Franconville dans le Val-d’Oise (BSM-Goddeeris-Deleu, CIMT-Prouvé, SEAL-Béchu-Bidault-Guillaume, SERA-Grandval, SCAN-Moyat), eux-mêmes sélectionnés parmi cinquante-deux propositions déposées en 1966. Seul le prototype du projet de Jean Prouvé sera monté par les adolescents du club à Ermont  dans le Val d’Oise. Se présentant sous la forme de deux demi-cylindres décalés, il existe toujours aujourd’hui, appelé « Club des espérances »,

La deuxième livraison démarrera suite à un concours conception-construction lancé dans le cadre du VIème Plan, dans le sillage des réalisations expérimentales du Plan construction lancées en 1971. Les lauréats du premier concours sont reconduits, avec des projets remaniés pour répondre à la nouvelle exigence de flexibilité, auxquels est adjoint un nouveau projet du groupement SCAC-agence Environnement  Design (Ed-architectes), qui produiront à partir de 1973 le club de jeunes « Ed-kit ». Un prototype est monté à Roissy-en-Brie, il satisfait aux tests notamment celui de l’étanchéité par arrosage à l’aide d’une lance à incendie. Les observateurs n’ont pas dû rentrer dans le prototype, car la mauvaise réalisation de joints faisait que la perméabilité n’était pas totale, dit en pouffant aujourd’hui Patrick Demanche.

Différentes enquêtes ont montré le bon accueil reçu par ce programme de « Club de jeunes » et, malgré leur caractère provisoire, on peut encore en voir quelques réalisations en fonctionnement aujourd’hui.   

Ces programmes de MJC et de « Mille clubs de jeunes », pilotés par le ministère de la Jeunesse et des Sports, ont essentiellement une vocation sociale et éducative en direction de la jeunesse. Tout autre sera la vocation des Maisons de la Culture lancées par André Malraux au début des années soixante. Implantées dans des villes moyennes, elles doivent permettre de « démocratiser»  la culture en milieu urbain, réunissant trois ambitions : l’animation, la liberté, la polyvalence. Citons les emblématiques Musée-maison de la Culture du Havre (1952-1961, architectes Lagneau et Audigier) et la maison de la Culture de Grenoble (1965-1968, architecte André Wogenscky), mais aussi celles de Firminy (1955-1965, architecte Le Corbusier), d’Amiens, de Bourges, de Caen, etc… réalisations financées à parts égales par l’Etat et la ville.

Le ministère de la Jeunesse et des Sports continuera sa politique de modèles pour équiper la France et satisfaire les besoins d’une jeunesse exigeante et de plus en plus nombreuse en direction de programmes sportifs : pour les gymnases (programme des complexes omnisports socio-éducatifs couverts COSEC), ainsi que pour les piscines (concours des 1000 piscines en 1969), dont on parlera plus tard avec la piscine Tournesol de l’architecte Bernard Schoeller.

Vincent du Chazaud, 06 février 2024

Prototype Ed-kit monté à Roissy-en-Bris (1971).

[1] En fait depuis le gouvernement Aristide Briand en 1922, il existe au ministère de la guerre un chargé de mission à l’éducation physique et à la préparation militaire. L’éducation physique reviendra ensuite au ministère de l’Instruction publique à partir de 1925. En 1938, Léo Lagrange est nommé sous-secrétaire d’Etat aux Sports, Loisirs et Education physique dans le gouvernement Camille Chautemps. En 1940, le général d’Harcourt est nommé Secrétaire général à la Famille et à la Jeunesse, puis sont créés un Secrétariat général à la Jeunesse  et un Commissariat général à l’Education physique et aux Sports. Après la guerre est créée une direction des Mouvements de Jeunesse et d’Education populaire, puis en 1946 un sous-secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports sous le gouvernement Georges Bidault. « La Jeunesse et les Sports » sont constamment rattachés à « l’Enseignement », jusqu’à la nomination de Maurice Herzog comme Haut commissaire à la Jeunesse et aux Sports en 1958 sous le gouvernement Charles de Gaulle, et qui deviendra à partir de 1963 Secrétaire d’Etat. En 1966, sous le gouvernement Georges Pompidou, est créé pour la première fois un ministère de la Jeunesse et des Sports, avec à sa tête François Missoffe. Depuis le 7 mai 2002, Jean-François Lamour est ministre des Sports.

[2] Ce programme de modèles a été décrit par Hélène Verniers sous le titre « Les Mille clubs ou la cabane

industrialisée », dans : MONNIER Gérard et KLEIN Richard (dir.), Les années ZUP, Paris, Picard, 2002.