BILLET n° 199 – L’AGENCE-ENTREPRISE PERRET EN ALGÉRIE : du béton expérimental (cathédrale d’Oran, 1908) au béton maîtrisé (basilique du Sacré-Cœur d’Alger, 1963). 2/3

Deuxième temps, à Alger dans les années 1930, la collaboration providentielle avec l’architecte Jacques Guiauchain, qui a pu connaître les Perret durant ses études à l’École des beaux-arts de Paris entre 1905 et 1910. À la fin des années 1920, Guiauchain vient de recevoir la commande de plusieurs édifices publics importants dans le cadre des célébrations du Centenaire de la colonisation. Devant l’ampleur de la tâche, en 1928 Guiauchain sollicite d’Auguste Perret des collaborateurs pour renforcer son agence. Ce seront d’abord Denis Honegger et Pierre Forestier en 1928, puis Michel Luyckx pour le forum face au Palais du gouvernement en 1934.

L’entreprise Perret bénéficie d’une part de la confiance de Jacques Guiauchain, troisième génération d’une famille d’architectes réputés à Alger, d’autre part de « fidèles » architectes perretistes dans l’agence de Guiauchain, l’une des plus importantes d’Alger. Cette collaboration fructueuse va se poursuivre plus de dix années de 1929 à 1941 avec six réalisations : d’abord la Maison de l’agriculture (1928-1934) en même temps que l’important chantier du Gouvernement général de l’Algérie (1929-1934), alors plus grand bâtiment administratif de l’État français (atteint par une bombe dans la nuit du 30 janvier 1943, c’est l’entreprise Perret qui réparera les importants dégâts), plusieurs pavillons de l’hôpital Mustapha (1933-1935), le pavillon du Yacht-club (1936-1938), le forum place du Maréchal Foch (1935-1941, Guiauchain est associé à Maurice Rotival). Ces chantiers, dont le résultat doit beaucoup au « regard » des Perret, sont l’occasion pour eux de fréquents voyages en Algérie.

Avec cette poussée de chantiers, l’entreprise ouvre une succursale à Alger en 1934, dirigée par Claude Perret depuis Paris et dont les bureaux seront installés dans la Maison de l’agriculture en 1936. L’entreprise tente de se diversifier avec d’autres architectes mais ne décroche que le chantier du lycée de jeunes filles de Constantine (1937-1942) de Marcel et Marcel-Henri Christofle. L’agence d’architecture sort quelques projets, mais seuls seront construits le dispensaire de l’hôpital Barbier-Hugo (1936-1955) et un immeuble de studio rue Desfontaines (1939-1948), sur un terrain appartenant à Germaine Laloë, tante de l’architecte José Ferrer-Laloë, élève et collaborateur de Perret, plus tard associé à Louis Miquel et Pierre Bourlier sur l’Aéro-Habitat (1950-1954). Ces chantiers, ralentis par la guerre, s’éternisent.

Cette période des années 1930 est féconde pour l’Algérie, les colonies ouvrant des débouchés aux architectes et aux entreprises du BTP alors que la crise de 1929 touche l’Europe, après les Etats-Unis. L’entreprise Béton Armé Hennebique (BAH) a établi depuis le début du siècle un quasi monopole en Algérie, mais l’’acier, dont l’OTUA fait une large promotion, devient un sérieux concurrent pour le béton armé. Après une percée prometteuse grâce à sa collaboration avec Jacques Guiauchain, l’entreprise Perret peine à trouver sa place. De plus en architecture, l’influence de Perret qui s’impose dans les années 1930 en Algérie, est contestée par d’autres courants architecturaux et urbanistiques. Le Corbusier, importante figure du Mouvement moderne qui s’est souvent opposé à son ancien maître Auguste Perret, débarque à Alger en 1931 à l’invitation de l’association des Amis d’Alger. Avec son plan « Obus », radical et polémique, il emporte l’adhésion de jeunes architectes qui fonderont l’École corbuséenne d’Alger. Nous les retrouverons à l’œuvre après-guerre.

Vincent du Chazaud, novembre 2024.


Gouvernement général de l’Algérie – Alger – (1929-1934, architecte Jacques Guiauchain, entreprises Perret Frères, Ateliers Jean Prouvé (lot menuiseries métalliques).


Le Corbusier, Robert Mallet-Stevens et Auguste Perret vers 1930