Fidèles et moins fidèles lecteurs,
Mais néanmoins
Ami(e)s,
Camarades,
Confrères et consœurs,
Voici venu le temps d’un « bilan » au moment d’écrire ce cinquantième billet… Le temps a passé, je me souviens de ce premier billet, où écrivant une demi page, je m’excusais d’être un peu long et de promettre de me discipliner pour faire plus court aux prochains. Le dernier fait neuf pages, j’ai dû le scinder en deux pour ne pas être trop roboratif…
Quelques remerciements, d’abord à Patrick Jeandot qui m’ouvrit le site de la compagnie des architectes-experts de justice alors qu’il en prenait la présidence et souhaitait en étoffer le site internet. N’ayant pas de passion ou de talent particulier pour l’écriture, sinon d’avoir pondu une thèse de 500 pages, je me suis mis à écrire, à écrire et à écrire…sur des thèmes choisis au gré de mes découvertes et de mes envies, avec une totale liberté. Merci de m’avoir fait confiance.
J’ai le défaut de ne jamais relire mes écrits, ça me barbe, aussi merci à mes correcteurs qui m’ont évité la honte des fautes d’orthographe, de phrases trop compliquées ou incompréhensibles, d’expressions employées mal à propos, etc… Mon plus fidèle et attentif lecteur et correcteur, et pas des moindres puisque universitaire et lexicographe réputé pour son dictionnaire des synonymes, était mon père; parti l’été dernier, sa femme Hélène a repris le flambeau.
Je n’oublie pas également le cercle très étroit de ces lecteurs qui me donnent des avis, me tarabustent, me corrigent quand je m’égare… Marie-Blanche, Véronique, Soraya, Jean-Xavier, Alain et d’autres.
Maintenant, en regardant en arrière, et pour faire une sorte de bilan, provisoire j’espère, j’ai regroupé les thèmes abordés depuis ce premier billet qui doit dater du début de l’année 2009, intitulé « De briques et de brocs »… Le ton était donné, il y aura effectivement de tout dans ces billets, même de la « pub » pour les amis et quelques bonnes adresses où manger du bon saumon[1], où écouter du jazz en dînant[2], ou comment enrichir son vocabulaire[3]… mais ceci me fut reproché par je ne sais plus quelle instance supérieure de l’expertise tous azimuts, aussi je n’ai pas récidivé, et si des noms ou des adresses s’impriment encore en bas de page, c’est par le seul effet d’un « copier-coller » avec d’anciens billets.
Deux billets ont été censurés par moi car trop « X », deux sortes de fables, « La mouche et le ruminant » et « Les trois amis » . Si certains en veulent un envoi « sous le manteau » ils me le feront savoir. Deux autres billets « spéciaux » n’ont pas été envoyés, car trop « foutraques », « billet sans retour » (billet n°2 bis), par lequel je me posais la question de l’opportunité d’appeler ce billet « billet », ainsi que « Antiques tics et grec moderne » (billet n°3 bis), avec comme entrée en matière une apostrophe d’Audiard[4] dans la bouche de Blier, évidemment pas destinée aux lecteurs : « J’parle pas aux cons, ça les instruit »… Bien sûr, il y eut quelques moments d’abattement, comme dans le billet intitulé « Révoltes » (billet n°18). Mais grosso modo, l’exaltation et la ferveur ont plutôt été de mise.
Les expositions du « moment » ont servi de cadre à quelques billets. Parmi les expositions de peintres ou de sculpteurs qui m’ont particulièrement marqué, on peut citer dans l’ordre chronologique, et selon une liste non exhaustive : « Alexander Calder les années parisiennes, 1926-1933 », au Centre Pompidou en 2009 (billet n°2), « Cézanne et Paris » au musée du Luxembourg en 2011 (billet n°21), « Matisse, paires et séries » et « Gerhard Richter” au Centre Pompidou en 2012 (billets n°23 et n°29), « Raphaël, les dernières années” en 2013 au musée du Louvre (billet n°30), « Mathurin Méheut », au Musée national de la marine en 2013 (billet n°34), « Edward Hopper » au Grand Palais en 2013 (billet n°32), « Félix Vallotton, le feu sous la glace » et “Georges Braque 1882-1963” au Grand palais en 2013 (billets n°42 et n°44), « Poliakoff, le rêve des formes », au musée d’Art moderne de la ville de Paris en 2014 (billet n°47), enfin récemment « Picasso céramiste et la Méditerranée », à la Cité de la céramique de Sèvres (billet n°49). Certains billets, celui sur Mathurin Méheut par exemple, me valurent des remerciements de lecteurs pour leur avoir fait découvrir des peintres, comme moi d’ailleurs en arpentant ces musées.
Certaines expositions ont rapproché des travaux de créateurs, amis mais aux activités différentes, ce fut le cas avec Calder et Prouvé, bien que les deux « tortillaient » de la tôle[5], à la Galerie Patrick Seguin en 2013 (billet n°42). Ce sera aussi, grâce à des collections privées, l’occasion de mettre côte à côte des peintres, parfois d’époques différentes, « Matisse, Cézanne, Picasso… l’aventure des Stein », au Grand Palais en 2011 (billet n°21) ou “ Turner et ses peintres” à la Galerie Nationale du Grand Palais en 2010 (billet n°10).
La peinture, et sa reproductibilité à travers la photographie, question traitée par Walter Benjamin dans un essai, a permis un parallèle avec l’architecture, d’abord l’antiquité qui servit de modèle aux architectures classiques du XVIIème siècle puis académiques jusqu’au milieu du XXème siècle, ainsi que sa reproduction grâce à l’industrialisation, enfin sa médiatisation aujourd’hui (billet n°14). Ce billet fut un temps d’intense réflexion sur l’art en général, et l’architecture en particulier.
Le monde grec n’a pas fini de nous fasciner, autant ses philosophes, sa démocratie, son art et ses sculptures, ses architectures de temples et de théâtres, son urbanisme dont le modèle milésien a traversé les siècles puisqu’il a influencé jusqu’à Le Corbusier (billets n°19 et 20).
Des expositions sur l’architecture ou l’urbanisme ont enrichi quelques billets, comme « Plans reliefs de Vauban » (billet n°23), magnifique et gigantesque présentation de maquettes de villes fortifiées sous la nef du Grand Palais en 2012, conçues à l’époque aux fins de convaincre le Roi de l’utilité de défendre son « pré carré » selon l’expression de Vauban lui-même, ainsi que ses ministres, Louvois pour la guerre, et le plus retors, Colbert pour les finances, qui trouvait ces dépenses trop dispendieuses. Le siècle suivant est abordé (billet n°46) avec un architecte exposé dans son œuvre emblématique avec « Soufflot, un architecte dans la lumière » au Panthéon en 2013. Le XXème siècle est représenté par « Marcel Breuer (1902-1981), design et architecture », à la Cité de l’architecture et du patrimoine en 2013, mais également avec l’exposition au Palais d’Iéna en 2014, « Auguste Perret : huit chefs-d’œuvre, architectures du béton armé » où la magistrale scénographie de Rem Koolhaas et de l’historien Joseph Abram permet une lecture limpide (billet n°46). Une critique sur le courant artistique « Art déco » (billet n°41) a trouvé son support avec l’importante exposition “1925, quand l’Art déco séduit le monde» à la Cité de l’architecture et du patrimoine en 2013, mouvement artistique pour lequel je n’ai pas une passion immodérée, rejoint en cela par Anne-Marie Fèvre dans un article de Libération du 25 octobre 2013, ainsi que par Nicolas Chaudun et sa sévère critique dans La Tribune de l’Art du 19 novembre 2013.
L’architecture, notre art sinon notre occupation, a très souvent été au centre des billets parus, et c’est normal. Cependant certains m’ont reproché de faire une fixation sur Le Corbusier… Je confesse que l’homme continue de me hanter, par sa ténacité devant l’adversité, sa capacité de travail, la diversité de ses talents, sa spiritualité et sa fidélité, sa disponibilité pour les hommes sincères… un humanisme passionné, parfois teinté de naïveté. Jean Prouvé, pour des raisons proches de celles qui viennent d’être énoncées, y tient aussi une place prépondérante. Je l’avoue, j’ai un « faible » pour ces deux-là… quand d’autres m’insupportent par leur pédanterie, leur fatuité, et leurs allures de nouveaux riches : Claude Parent en fait partie (billets n°8 et n°40). D’autres moins connus, mais élevés pour moi au rang d’architectes au sens que je m’en fais, ont émaillé des billets, dont un précisément sur le logement social où étaient mis en avant l’américain Pierre Kœnig, l’égyptien Hassan Fathy, la française Renée Gailhoustet (Billet n°9), ainsi que le finlandais Alvar Aalto pour qui « plus un art est social, et l’architecture est un des arts les plus sociaux, plus il y souffle d’esprit collectif et plus le milieu et l’époque participent à l’œuvre » (billet n°43)… et puis le portugais Alvaro Siza, architecte discret et de talent (billet n°23), attentif aux lieux où il opère, donc forcément subjugué devant l’abbaye du Thoronet.
Pour revenir à Le Corbusier, encore lui, il est associé à des hommes de littérature comme Romain Rolland (billet n°38), l’écrivain « croquant » l’architecte de passages à Vézelay dans le journal qu’il tenait durant la guerre, ou comme Albert Camus lors d’une rencontre imaginaire (billet n°22). Pour Jean Prouvé, un homme, un prêtre lui est associé, c’est l’abbé Pierre (billet n°11). Aussi rebelles l’un que l’autre aux idées convenues, aussi révoltés contre la misère et les lourdeurs administratives, ils ont marqué cette époque d’après-guerre, quand les idéaux républicains exaltés dans la souffrance de la guerre, s’émoussait peu à peu dans la paix retrouvée. Le monde nouveau tant attendu n’était toujours pas au rendez-vous de l’Histoire, la souffrance et les inégalités continuaient. Dans cette bataille, un autre homme a combattu au péril de sa vie, Fernand Pouillon (1912-1986) (billet n°11 également). Celui-ci a été contraint de s’exiler en Algérie, où j’ai pu le rencontrer alors que j’étais venu travailler dans ce pays en 1977. Grand aigle dans sa villa mauresque du quartier de Diar El Maçoul qu’il construisit sur les hauteurs d’Alger, il me reçut avec une très grande cordialité, alors que j’étais tout jeune architecte sortant de l’école, lui à 64 ans ayant déjà derrière lui une vie riche en rebondissements, et laissant une œuvre architecturale importante; ce fut la même rencontre, sensiblement à la même période, que fit notre confrère Patrice Dalix, anecdote qu’il raconte dans un livre sur son expérience de coopérant[6]. Est-ce le climat politique, la sensation d’être emprisonné, la lassitude à livrer des batailles, cette période algérienne de Pouillon n’a pas été la plus intéressante dans son œuvre architecturale.
L’Algérie, pour laquelle j’ai travaillé durant trois années au sortir de l’école, m’a laissé des traces durables, et pas seulement comme architecte. Mais c’est seulement de cela qu’il sera question ici; le M’Zab a pour moi été un révélateur, un catalyseur. Jusque là, je regardais l’architecture comme un « touriste », à distance, sans véritablement m’y investir. André Ravéreau a écrit un livre sur cette région du sud de l’Algérie intitulé « Le M’Zab, une leçon d’architecture ». Je crois que j’y ai pris effectivement une bonne leçon. D’autres aspects liés à ce pays pour lequel j’ai travaillé quelques années ont été évoqués, comme la question du legs de l’architecture coloniale et de sa rénovation aujourd’hui (billets n°25 et n°28), comme celle des échanges et apports réciproques du Mouvement moderne et de l’Ecole d’Alger (billet n°36) avec l’architecture méditerranéenne.
La conservation de l’architecture pose parfois problème, elle conduit à des absurdités comme l’histoire, finalement malheureuse et kafkaïenne, du bâtiment de la Caisse d’allocations familiales (CAF) de Raymond Lopez à Paris (billet n°17). Ces questions de patrimonialisation sont abordées de façon générale (billets n°31, n°33 et n°35), puis développées avec le cas de Royan, qui vient de décrocher le label « Ville d’art et d’histoire » (billet n°26), et les apories de la conservation du patrimoine des Trente glorieuses face aux enjeux des Grenelle 1 et 2 (billet n°12).
La promenade et la flânerie, dilettantisme trop souvent négligé à cause d’une vie trépidante dans une ville surchargée, sont trop souvent réservées aux rentiers, aux retraités voire aux chômeurs, et alors diversement goûtées. Elles permettent pourtant d’apprécier l’architecture « ordinaire », celle qui n’est pas classée comme « historique » (billets n°5 et 6). Une autre fois, montant par erreur dans un train, j’ai eu le temps de lire et de résumer l’épatant livre culte de René Beudin, « Charrette au cul les nouvôs » (billet n°7), exaltant la belle et héroïque époque des Beaux-arts, quand fête rimait avec travail, et que quelques « dinosaures » de notre compagnie ont connu… ils en ont conservé quelques belle traditions, à les entendre entonner avec vigueur et ferveur, d’autres diront brailler ou vociférer, le « Pompier » ce chant architectonique qui donnait du courage à l’apprenti peinant sur sa feuille Canson format « Grand aigle » sur laquelle il tentait de masquer un projet ordinaire par quelques « jus » colorés bien dosés. Dans ce même esprit « Beaux-arts », un hommage est rendu à Francis Blanche et Pierre Dac (billet n°37), proches « parents » d’Audiard cité plus haut, fondateurs du MOU (mouvement ondulatoire unifié) fusion du « Parti d’en rire » et du « Parti sans laisser d’adresse ».
Lors de ces pérégrinations, ma mie m’accompagnait, elle n’est pas oubliée, elle est comme une muse sans qui le poète serait muet. Sans elle mes yeux et ma pensée auraient buté sur un mur aveugle sans en découvrir toute la subtilité, sur un béton rugueux toute la matière révélée, sous une masse sombre le trait de lumière, dessus la cime du toit toute la beauté du ciel, à côté de la maison l’arbre qui la complète… Nos promenades à moto aux villas Cavrois, Savoye ou Carré m’ont inspiré (billet n°4), comme nos voyages plus lointains comme à Chandigarh, où encore hantait l’ombre de Le Corbusier (billet n°16). Et puis il existe un petit coin de Dordogne, posé entre ciel et terre, qui s’appelle Argentine… mais ça c’est notre secret, dont j’ai toutefois soulevé un coin du voile (billet n°24).
Enfin rappelez-vous ce billet n°40 que je terminais en annonçant “pour le 50ème, promis j’organiserai un dîner avec mes fidèles lecteurs… une table de six devrait suffire”. Pour cette « épluchette » comme disent les Québécois, je vous donne rendez-vous :
-lieu : bar à vins « La Cave Marcadet » (tél. 09 80 78 64 88)
-adresse : 157 rue Marcadet à Paris 18ème (métro Jules Joffrin – mairie du 18ème)
-date : jeudi 24 avril 2014 (jour de la saint Fidèle….)
-heure : à partir de 19h30
NB1 : pour l’organisation, merci de m’avertir de votre participation par courriel : vincent.du.chazaud@wanadoo.fr, avant le 17 avril 2014
NB2: ne pas oublier de réviser « le pompier »….
Vincent du Chazaud, le 30 mars 2014
[1] «L’atelier du saumon » 11 rue de la Charronnerie à Saint Denis (93200), tél/fax 01 49 22 06 13, atelierdusaumon@gmail.com. Le « fumeur » de saumon Laurent Leymonie opère dans son atelier, livraison à domicile possible.
[2] Ecouter Louis-Marie Flamand à la clarinette avec ses comparses au restaurant » Chez Françoise », rue Robert Esnault Pelterie, Paris 7ème (01 47 05 49 03)
[3] A l’aide du « Dictionnaire de synonymes, mots de sens voisin et contraires » d’Henri Bertaud du Chazaud (éditions Quarto Gallimard)
[4] Curieusement je ne l’ai pas retrouvée dans l’excellent « Audiard en toutes lettres » de Philippe Durand, éditions Le cherche midi, Paris, 2013. Il faut dire qu’il donne une place privilégiée à cette célèbre formule « Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît » pour laquelle un ouvrage entier ne suffirait pas…
[5] C’est ainsi que se présentait Jean Prouvé, “je suis un tortilleur de tôle”…
[6] DALIX Patrice, “Chroniques d’un architecte coopérant”, L’Haramattan, Paris, 2013