La ville d’Adrar, qui signifie « rocaille » en berbère, est située au cœur du Sahara, à 1400 kilomètres au sud-ouest d’Alger. Le climat est désertique et chaud, la température dépasse 40°C au mois de juillet. Pour l’hôpital d’Adrar, commandé à Michel Luyckx vers 1942 par le Direction des Territoires du Sud (Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées M. Martinet), le choix de matériaux locaux s’est rapidement imposé. Élève d’Auguste Perret à « l’Atelier du palais du bois », atelier en marge de l’enseignement académique des Beaux-arts de Paris, il utilisait plutôt le béton, dont son maître était un précurseur. Mais Luyckx démontra aussi, avant Adrar, qu’il n’en était pas un inconditionnel, et qu’il savait adapter son architecture et sa construction au site dans lequel elle est implantée. En Kabylie par exemple, il fait rouvrir une carrière de pierres pour les projets scolaires dont il est chargé vers 1938. Pour l’hôpital d’Adrar, le béton n’était pas adapté au climat ni aux conditions de transport de ciment et d’acier, en pleine seconde guerre mondiale. Michel Luyckx utilise les matériaux que l’on trouve sur place, la pierre ainsi que la « toub », briques fabriquées à partir de l’argile ocre rouge locale et séchée au soleil, fondant le bâtiment dans le paysage saharien aride. Pour les linteaux, pour les plafonds, ces matériaux imposent naturellement des techniques traditionnelles, arcs, voûtes, coupoles, sans que cela soit un pastiche de l’architecture locale, mais une nécessité constructive. C’est ce qui fit écrire à Auguste Perret que « Michel Luyckx a su faire surgir du désert, avec les moyens de son sol, ce vaste édifice, si bien adapté aux conditions permanentes de l’architecture, qu’il semble avoir toujours existé. » Cette architecture de « masse », percée de peu d’ouvertures avec des murs épais faits d’un matériau poreux leur permettant de « respirer », permet d’affronter chaleur et ensoleillement de ce climat désertique aux températures extrêmes : la chaleur stockée dans la terre est restituée dans les pièces la nuit où la température tombe subitement.
Pour ce projet, Michel Luyckx opte pour un plan très géométrique, centré, avec un axe de symétrie. C’est une composition classique, à la façon de Palladio, et le bâtiment y trouve toute sa majesté, opposée à la sobriété des matériaux locaux, une terre argileuse rouge qui règne sur tous les faces des volumes construits. Avec ce matériau, les arcades s’imposent naturellement, elles ne sont pas factices. Pour ce chantier éprouvant, Michel Luyckx fait appel à un très proche collaborateur, Guy Balla. Sur une photo, on les voit tous les deux penchés sur la maquette de l’hôpital d’Adrar, dans ce qui pourrait être la cour de celui-ci.
Cette expérience de construction en terre est unique dans l’architecture de Michel Luyckx, qui eut dans sa carrière en charge d’importants programmes en lien avec l’industrie (centrales thermiques, barrages, hangars d’aviation…). Mais cette expérience, qui n’est pas neuve en soi puisqu’elle met en œuvre des techniques ancestrales, trouve un regain d’actualité auprès d’autres architectes.
A Gourna près de Louxor en Egypte, au lendemain de la Seconde guerre mondiale Hassan Fathy expérimente durant trois ans, et sans achever ce programme de relogements, cette technique locale de constructions en terre faites de voûtes et de coupoles.
A Ghardaïa, pour la poste construite dans les années 1970, André Ravéreau renforcera la protection solaire avec ce qu’il appelle un « mur masque » faisant écran devant le mur porteur en pierre, et l’air circulant entre les deux murs assure une ventilation évacuant l’air chaud.
Qu’en est-il de l’hôpital d’Adrar aujourd’hui ? Désaffecté en 1975 au profit d’un autre hôpital nouvellement construit, les bâtiments ont servi un temps de dépôt pharmaceutique, puis ont été complètement abandonnés. Les architectures de terre ont besoin d’un entretien peu important, seulement s’il est fait régulièrement ; le château d’eau, qui était un élément dominant au centre de la composition très géométrique du plan d’ensemble, est écroulé. L’ancien hôpital d’Adrar, délaissé, délabré et vandalisé, a d’abord été l’objet d’un diagnostic en 2006 par le CTC (Contrôle technique de construction, bureau d’études public d’ingénierie) commandé par la Direction de la culture de la Wilaya d’Adrar qui en a la charge aujourd’hui. La question de sa restauration est posée avec son inscription au titre des Monuments historiques en 2008. Une architecte spécialiste de la préservation du patrimoine bâti en terre, Yasmine Terki, a été nommée à cette époque pour rassembler la documentation concernant le bâtiment et mener les travaux pourtant il semble que les crédits manquent pour les entreprendre. Khedidja Aït Hammadou-Kalloum, architecte et enseignante-chercheuse en architecture à l’université d’Adrar, spécialiste de l’architecture saharienne, s’est intéressée à cette œuvre de Michel Luyckx pour en faire un article. Les dernières informations sur l’hôpital d’Adrar proviennent de sa correspondance avec Benoît Luyckx, le fils de Michel Luyckx, en mai 2011.
Vincent du Chazaud, le 8 mars 2019