BILLET n°141- ARCHITECTURE MODERNE EN ALGÉRIE

5-L’ARCHITECTURE APRÈS L’INDÉPENDANCE

5-5-Agences publiques d’architecture et d’urbanisme, coopération : une mainmise de l’Etat sur l’architecture

 

« Après les indépendances, la France salarie et envoie des milliers de coopérants en Afrique, caractéristique de son mode d’action (dans ses anciennes colonies) inventé par les gaullistes en 1959. Jusqu’en 1998, le ministère de la Coopération a envoyé des dizaines de milliers de coopérants dans 14 pays d’Afrique, non comptés les dizaines de milliers d’autres gérés par les Affaires étrangères, au Maghreb notamment. »[1] Pour l’Algérie, les accords d’Evian mentionnaient déjà la mise à disposition de techniciens et d’enseignants français, anticipant sur le rapatriement prévisible d’un très grand nombre de pieds-noirs et de résidents métropolitains.

Pour pallier à cette hémorragie, en sus de techniciens un nombre important de coopérants sont affectés à l’enseignement, dont celui dans les écoles d’architecture avec de jeunes enseignants tout juste sortis des écoles d’architecture françaises, belges ou suisses. D’autres jeunes architectes occuperont  des postes au sein des bureaux d’études publics, ou rattachés à des ministères, aux côtés des architectes algériens récemment formés. Les architectes algériens, au terme de cinq années de service civil, se sont vus offrir des postes de fonctionnaires dans l’administration, avec les avantages liés à la sécurité de l’emploi et à la garantie d’un logement dans un pays qui en manque cruellement. « Cette évolution vers le fonctionnariat a eu pour effet de déplacer l’architecture ou l’ingénieur de sa table à dessin vers le bureau de l’administrateur : fantastique réduction des corps professionnels des arts et des techniques au rôle de gestionnaire, et ceci au moment où s’ouvre le débat sur la recherche d’un espace urbain enraciné dans les modes de vie algériens. Le débat culturel est évacué au profit de plans types qui couvrent les périphéries des agglomérations de barres mal orientées et mal agencées ».[2]

 

Selon Chiali Abdelmadjid, ancien directeur général des infrastructures au Ministère des travaux publics [3], on peut distinguer deux grandes périodes dans la coopération avec la France. Une première s’échelonnant de 1962 à 1973, avec des experts de hauts niveaux occupant des postes de responsabilité. Une deuxième, après la nationalisation du pétrole en 1971 et le durcissement des relations franco-algériennes, quand à partir de 1974 s’est opéré un retrait de ces experts pour laisser place à de jeunes coopérants diplômés qui, en remplacement de leur service militaires, choisissaient la coopération en devenant des volontaires au service national actif (VSNA), mais munis d’une moins grande expérience et donc moins efficaces.

 

Les coopérants techniques vont occuper des postes dans les bureaux d’études des ministères et des entreprises publiques. A Alger, après la dissolution de l’Agence du plan, des bureaux ont pris en main l’urbanisme d’Alger et de sa région, optant pour une extension de la ville vers l’est, là où Oscar Niemeyer projetait l’image de Rio, avant d’opérer un virage à l’ouest en direction de Cheraga en 1979. L’architecte et urbaniste Ewa Berezowska-Azzag identifie pour Alger plusieurs périodes marquées par des agences aux programmes différenciés et adaptés aux conjonctures.

La décennie « 1970 » (1970-1980) voit la création en 1968 du COMEDOR (Comité permanent d’études, de développement, d’organisation, d’aménagement d’Alger) animé par Rachid Sidi Boumedienne. Chargé de gérer peu après l’indépendance le développement urbain du grand d’Alger, le COMEDOR s’inspire tout d’abord des orientations données par le Plan de Constantine, et poursuit l’extension urbaine vers l’est amorcée avant l’indépendance, en suivant les infrastructures portuaires, ferroviaires et aéroportuaires, avec le Plan d’orientation général (POG) à l’horizon de l’année 1985. Cette extension urbaine se fait au détriment des riches terres agricoles de la Mitidja, à une époque où le développement de l’industrie prend la pas sur l’agriculture. Egalement au détriment de ces riches zones agricoles, à partir de 1975, sont lancées de grands ensembles de logements en périphérie d’Alger, les ZHUN, zone d’habitat urbain nouveau.

La décennie « 1980 » (1980-1990) voit le remplacement du COMEDOR par le Centre national d’études et de réalisations urbaines (CNERU), et le POG par le Plan d’Urbanisme Directeur (PUD) destiné à l’horizon 2000. Ce plan voit une réorientation de l’extension de la ville vers le sud-ouest, sur les collines du Sahel, et une densification du foncier existant. C’est un retour aux options qu’envisageait l’Agence du plan, avant l’indépendance. A cette époque également est lancé le projet symbolique destiné à raviver l’esprit de la révolution en honorant les martyrs de la guerre d’indépendance, le Monument aux Martyrs prolongeant le Centre commercial et de loisirs de Riad El Feth.

Au début de la décennie « 1990 » (1990-2000), la Casbah d’Alger est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO (1991), ce qui donne un nouveau souffle aux projets pour sa revalorisation. Au début des années 1990 est élaboré un Plan directeur d’aménagement et d’urbanisme (PDAU) à l’horizon 2010, approuvé en 1995. Celui-ci se dote d’outils réglementaires, et un Plan d’occupation du sol (POS) devient un document opposable aux tiers, mais le manque de vision stratégique du PDAU conduit à des extensions urbaines anarchiques dans toutes les directions, les couloirs urbains le long de voies menaçant une conurbation avec les localités limitrophes, ce qui se fera bientôt. Cette décennie des « années noires », troublée par l’affrontement sanglant entre islamistes et militaires, après l’arrêt du processus démocratique en décembre 1991 et la prise du pouvoir en 1992 par les généraux « janviéristes », au centre duquel la société civile paiera un prix très élevé, va tétaniser et démobiliser  l’administration impuissante à juguler l’urbanisation spontanée.

Pour la décennie « 2000 » (2000-2010), des signes positifs devaient permettre d’installer un espoir d’amélioration, après le traumatisme de la guerre civile. Les programmes mis en œuvre prennent en compte des données plurielles, et non plus la seule occupation du sol. Les directives des plans précédents, imposées par des acteurs au sommet de l’Etat, devraient laisser place à des concertations élargies, à côté des décideurs politiques et des élus, à des professionnels pluridisciplinaires, des investisseurs potentiels, des représentant de la société civile. Mais ces perspectives d’amélioration seront bientôt confisquées par un groupe politico-financier autour de la présidence, dont les malversations vont aboutir en 2019 à une énorme réprobation populaire.

 

A côté de l’exemple d’Alger, dans le Sud est créé en 1973 à l’initiative de l’architecte André Ravéreau, soutenu pour ce projet par Ali Naït, un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, l’Établissement régional saharien d’architecture, d’urbanisme et d’environnement (ERSAURE). Venant à la suite du premier Atelier du M’Zab plus orienté vers une analyse théorique de l’architecture mozabite, ce nouvel atelier était plus opérationnel. Après le projet de la poste de Ghardaïa de Ravéreau avec ses collaborateurs Lauwers et Pedrotti, ERSAURE était destiné notamment à la mise sur pied de programmes neufs, logements, écoles, équipements. L’agence était installée dans les locaux des Monuments historiques, ce qui fait qu’on les a longtemps confondus. En 1976, un différend éclate entre le responsable administratif local et André Ravéreau, si bien que ce dernier est remercié et quitte l’Algérie après vingt années bien remplies.

 

 

 

Vincent du Chazaud, le 23 août 2020 

 

 

 

 

 

 

[1] VERMEREN Pierre, Le choc des décolonisations, de la guerre d’Algérie aux printemps arabes, Odile Jacob, Paris, 2015, p. 269

[2] J. Abdelkafi, urbaniste, « Pénurie de logements et crise urbaine en Algérie », article dans Techniques et Architecture, « Algérie », n° 329, février-mars 1980, pp. 114 et 115

[3] Mohamed Ayadi, « Quelle évaluation de la coopération française dans les TP trente ans après ? » in BENGUERNA Mohamed, KADRI Aissa (dir.), Ingénieurs en Algérie dans les années 1960, une génération de la coopération, Editions Karthala, Paris, 2014, pp.87 à 91