BILLET n°147- ARCHITECTURE MODERNE EN ALGÉRIE

5-L’ARCHITECTURE APRÈS L’INDÉPENDANCE

5-8-L’architecture au Maroc: entre tourisme et développement

 

Le Maroc devient protectorat français par la signature du traité de Fès le 30 mars 1912.

L’occupation française au Maroc, comme pour la Tunisie et l’Algérie, a laissé des traces durables et importantes sur le paysage urbain. Elles sont importantes notamment dues à la personnalité d’Hubert Lyautey (1854-1934), nommé résident général de France à partir de 1912, qui a laissé une empreinte durable sur l’urbanisme des villes marocaines, Casablanca notamment. Lyautey nomme en 1914 Henri Prost (1874-1959) directeur du Service spécial d’architecture et des plans des villes. Prost constitue une équipe avec Adrien Laforgue, Albert Laprade, Marrast, Le blanc, Rigollet, équipe avec laquelle il réalise les plans d’extension de Casablanca (on surnommera Prost « le baron Haussmann de Casablanca »), Rabat, Meknès, Fez et Marrakech. Plus tard, comme architecte Prost construit au Maroc l’usine hydro-électrique de Salid-Machou. 

Durant la période des années 1920, les frères Perret créent une filiale au Maroc et y introduisent le béton armé pour les vastes entrepôts du port de Casablanca. La ville, en même temps qu’un port important ouvert sur l’Atlantique, a connu un essor considérable durant les années Trente, et l’Art déco y a pris une place importante dans l’architecture de la ville, comme ce sera le cas pour la ville algérienne voisine de la frontière marocaine, Oran. Les architectes Auguste Cadet (1881-1956) et Edmond Brion (1885-1973) ont mené ensemble le projet de nouvelle médina imaginé par Laprade, ainsi que séparément plusieurs immeubles remarquables à Casablanca, le Grand Bon Marché (1930), l’immeuble Bendahan et la Banque d’Etat du Maroc (1937). Un autre architecte, Marius Boyer (1885-1947), arrivé en 1917 au Maroc, a laissé à Casablanca des édifices importants, comme l’Hôtel de ville (1936) synthèse entre architecture locale et Art déco, l’hôtel Volubilis ou plus modernes comme l’immeuble « Lévy-Bendayan » (1928), l’immeuble « Assayagh » (1932) ou le cinéma Vox. Autre architecte, Marcel Desmet (1892-1973), arrivé à Casablanca en 1932, qui tout de suite œuvre pour les immeubles HLM de la « Fraternelle du Nord » place de France, et la SIF place de la Gare en 1935. Un autre édifice marquant le paysage de Casablanca à la fin des années 1920, l’immeuble de l’INCAMA (1928) de l’architecte Albert Greslin (1888-1966) associe sur ses façades des décors Art déco et des zelliges marocains.

 

En 1948, Louis Miquel se voit confier l’étude d’une cité à Madagh, ville au nord-est du Maroc, dont le projet est publié dans la revue « Techniques et architecture ».

Le groupe ATBAT, composé de Woods, Candilis et Bodiansky, met en œuvre à Casablanca en 1954 la réalisation de cent logements, huit magasins et aménagement d’une place centrale. Les prix des logements devaient correspondre au quart des prix alors pratiqués au Maroc.

Un numéro de l’Architecture française de 1949 est entièrement consacré au Maroc, puis en mai 1951 c’est au tour de la revue L’Architecture d’Aujourd’hui. Deux tendances architecturales émergent, l’une encore emprunte de l’architecture Art déco des années 1930 (Duhon, Chassagne, Fleurant, Marchisio…), l’autre en prise avec le Mouvement moderne (Zevaco, Messina…).

Autre architecte adepte du Mouvement moderne, l’architecte Jean Chemineau (1916-1964), mort prématurément à l’âge de 48 ans. Installé au Maroc en 1949, il put y exprimer tout son talent sans contrainte, dans un pays neuf (immeubles mixtes logements et bureaux à Rabat, stade municipal de Rabat, église de Ouezzane ).

L’architecte Paul Tournon, auteur en France de nombreux édifices participant au renouveau de l’art religieux en collaboration avec des artistes comme Marguerite Huré pour les vitraux, réalise à Rabat l’église Notre-Dame-de-l’Océan (1930) et l’église Saint-Joseph-de-l’Océan (1933), à Casablanca l’église du Sacré-Cœur (1932-1959), aujourd’hui transformée en centre culturel, et à Ifrane l’église Notre-Dame-des-Cèdres (1939).

En 1951 Jean Prouvé travaille aux côtés de l’architecte Lenormand sur la Centrale de Camirant à Rabat,  pour la société marocaine de distribution de gaz et d’électricité. Les Ateliers Jean Prouvé réalisent les brise-soleil avec les poteaux en tôle pliée en forme d’égale résistance ainsi que d’autres éléments d’architecture.

 

Le Maroc a acquis son indépendance le 2 mars 1956 après une épreuve de force avec la France et le sultan Mohammed V, dont l’exil contraint avait causé un vif émoi dans la population. Son retour triomphal marque l’émancipation du pays de la tutelle de la France. L’influence de l’ancien colonisateur reste forte, à la fois avec des architectes installés au Maroc, Tastemain (Externat de jeunes filles musulmanes à Rabat), Claude Verdugo (École Mohammedia des ingénieurs à Rabat, professeur à l’École nationale d’architecture de Rabat), et Michel Ecochard qui garde la confiance des autorités marocaines, lui confiant d’importantes études urbanistiques (plan de zoning de Casablanca de 1952, cité des Carrières centrales à Casablanca).

Six ans après le séisme qui détruisit la ville d’Orléansville en Algérie, une semblable tragédie frappa Agadir au Maroc en 1960. Comme pour Orléansville, l’équipe mise en place pour la reconstruction de la ville s’illustra par les qualités urbaines et architecturales exemplaires du projet mis en œuvre par des architectes comme Henri Tastemain, Mourad Ben Embarek, Elie Azagury ou Jean-François Zevaco. Ce dernier réalise, en utilisant largement le béton, la poste centrale, la caserne de pompiers, des écoles, des villas, des logements de fonction.  Pour ses maisons à patios à Agadir (1964), Zevaco reçoit le prix Aga Khan d’architecture[1] en 1980, la même année que l’Egyptien Hassan Fathi.

 

Jean-François Zevaco (1916-2003), né et mort à Casablanca, est une figure majeure de l’architecture marocaine des années 1950. Influencé par les architectures de Frank Lloyd Wright et d’Oscar Niemeyer, il associe leur modernité aux traditions constructives marocaines. Après ses études à l’Ecole des Beaux-arts de Paris, il installe son agence à Casablanca en 1947 où il réalise des villas  modernes et élégantes dans le quartier résidentiel d’Anfa, dont la villa Suissa (1948). Il œuvre également pour nombre de projets importants comme l’aérogare de Tit Mellil (1951), les tribunaux de Mohammedia (1958), de Ben Ahmed (1958) et de Beni Mellal (1960), le groupe scolaire Georges-Bizet à Casablanca (1960), le siège social de la BNDE à Rabat (1962), tous emprunts d’une grande modernité associant béton brut et pierres locales, surfaces blanches, ondulations et creux dans les façades créant des jeux d’ombres et de lumières. Très souvent dans ses projets il associe des artistes comme le sculpteur Olivier Seguin. A plus de quatre vingt ans, Jean-François Zevaco travaillait encore sur la villa Zniber de Marrakech (1998). Il meurt dans l’oubli en 2003 dans la maison qu’il s’était construit à Casablanca en 1975.

 

Une nouvelle génération d’architectes marocains émerge avec des projets dont les qualités sont reconnues, un numéro de l’Architecture d’aujourd’hui lui a été entièrement consacré en 2015[2]. La qualité de l’enseignement, ainsi que l’ouverture sur l’extérieur donnée aux étudiants en architecture, ont permis cette éclosion d’une architecture remarquable.

 

D’importantes agences d’architectes s’intéressent au développement du pays en pleine croissance économique. Entre 2011 et 2015, l’agence Reichen et Robert et associés travaille à l’éco cité de Zenata . Cette ville nouvelle près de Mohammedia et de Casablanca, est programmée pour accueillir 300.000 habitants à l’horizon 2030, dans un site historiquement dévolu à la villégiature, sur des principes durables et écologiques, avec un parc métropolitain.

Ricardo Bofill et le Taller de Arquitectura réalise en 1988 le Twin Center au cœur de la ville de Casablanca, complexe de bureaux installé dans deux tours jumelles (1998) surplombant un centre commercial, et en 2016 l’important projet d’Université polytechnique Mohammed VI à Benguerir.

Le Maroc n’échappe pas à la vague religieuse qui submerge le Maghreb, et en 1993 est inaugurée la mosquée Hassan II à Casablanca, œuvre monumentale construite sur un terrain en partie gagné sur la mer, due à l’architecte Michel Pinseau (1924-1999). Appelé par le roi Hassan II dans les années 1970, il a consacré une grande partie de son activité au Maroc construisant entre autres des résidences royales (palais d’Agadir), des universités (Ifrane), des bâtiments administratifs (Casablanca), des logements sociaux (Rabat), le pavillon du Maroc à l’exposition universelle de Séville en 1992. Il est également l’architecte-urbaniste de la ville nouvelle de Salé et conduit, en collaboration avec François Prieur, les restructurations de quartiers à Casablanca, Fez, Meknès, Marrakech, Agadir et Rabat. Perdant brutalement la faveur royale, il quitte le Maroc et, ruiné, meurt en France en 1999.

 

 

Vincent du Chazaud, le 16 avril 2021

 

 

[1] Le prix Aga Khan d’architecture, instauré par Karim Aga Khan en 1977, est décerné tous les ans par sa Fondation pour récompenser l’excellence en architecture dans les sociétés musulmanes

[2] L’Architecture d’Aujourd’hui, numéro… juin 2015, Le Maroc