Billet n°191- L’UNIVERSITÉ DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE D’ORAN (USTO)
C’est à l’invitation de Djillali Tahraoui, en sa fonction de directeur de la revue d’architecture et d’urbanisme Madinati, architecte et enseignant à la Faculté d’architecture et génie civil de l’USTO, ainsi que du Centre culturel français d’Oran, que je suis allé dans l’ouest algérien dernière semaine de mai, plus exactement à Oran et Tlemcen. L’USTO, important pôle universitaire d’Oran baptisé Mohamed Boudiaf en mémoire du président assassiné le 29 juin 1992 à Annaba, a été conçu et édifié entre 1975 et 1986 par l’architecte japonais Kenzo Tange (1913-2005), à l’invitation de l’État algérien, comme le sera plus tôt Oscar Niemeyer pour l’université Mentouri de Constantine (1971-1977). L’année suivante, en 1987, Kenzo Tange reçoit le prix Pritzker. Formé par Kunio Maekawa un disciple de Le Corbusier, il est alors reconnu internationalement pour son musée du Mémorial de la paix d’Hiroshima inauguré en 1955, la même année que la cathédrale Sainte-Marie de Tokyo, puis il réalise les équipements sportifs des Jeux olympiques de Tokyo de 1964. En Algérie, l’important projet d’Université des sciences et technologies d’Oran (USTO) est un de ses premiers projets hors du Japon. Par la suite, lui est confiée une cité universitaire à Constantine, ainsi que l’aéroport international d’Alger.
Le vaste campus universitaire occupe un terrain de presque 100 hectares situé à l’est de la ville d’Oran. On était à l’époque du projet en bordure de la ville, sur la commune agricole de Bir El Djir qui allait bientôt devenir une zone urbanisée puis enserrée dans l’extension galopante de la ville. L’objectif de modernité souhaité par l’État algérien se traduit par la formule d’une « université ouverte » dans un espace vert et arboré la reliant à la ville. Peu à peu ces espaces végétalisés, qui devaient renforcer l’image méditerranéenne par le choix des essences plantées, sont grignotés par l’urbanisation galopante qui en modifie l’idée originelle[1].
Les bâtiments s’articulent entre eux, permettant des extensions à la façon des architectures dites « proliférantes », proches du mouvement « métaboliste » prôné par les architectes japonais Kikutake, Kurokawa ou Maki. Initialement prévue pour 10.000 étudiants, l’université accueille aujourd’hui près de 30.000 étudiants et 1.000 enseignants, avec une évolution possible que pourrait absorber son architecture modulaire et ses possibilités d’extension de bâtiments, horizontalement comme verticalement. La métaphore de l’inachèvement de la modernité et de la technologie est appliquée à la construction même, et pour la circonstance une usine spéciale de béton précontraint fut créée sur le site dans les années1970. La « grille métaboliste »[2] que Kenzo Tange propose devrait permettre à l’université d’évoluer.
Amine Taïbi, architecte et photographe de talent[3], également enseignant à l’USTO, m’a accompagné pour cette visite en fin de journée, à laquelle s’est joint Djillali un peu plus tard. Vidé de ses étudiants et de ses enseignants, ce site universitaire s’offrait dans toute sa calme étendue et son apparente complexité. Les façades, blanches à l’origine comme on peut le voir sur une petite zone repeinte récemment, sont toutes revêtues d’une ocre jaune, teintées par les vents de sable et la terre ocre environnante. Quand l’ensemble aura retrouvé sa blancheur, posé sur ce sol rouge, le contraste en sera saisissant, comme à son origine.
Une grande importance est donnée aux séparations des voies piétonnes et des espaces publics, avec les voiries automobiles desservant stationnements et approvisionnements. Depuis le Mouvement moderne et l’explosion du trafic automobile, architectes et urbanistes réfléchissent à éviter un conflit entre ces différentes circulations, les dalles piétonnes étant une réponse dans les années 1970.
L’organisation est limpide, trop sans doute pour les esprits tordus, notamment grâce à sa trame faite de blocs carrés ou rectangulaires limités par des tours octogonales à chaque coin remplaçant les poteaux. Celles-ci sont des systèmes porteurs creux de 5 mètres de côté, à l’intérieur desquels prennent placent les circulations verticales, ainsi que tous les fluides et canalisations. Placés tous les 26 mètres dans les deux sens, ils sont reliés par des dalles de béton en caissons formant les planchers, et sur chacun des abouts de poutres apparents en façades, on perçoit les fers qui ont servi à la précontrainte.
Un ouvrage récent sur l’histoire de l’architecture en Algérie pour la période moderne et contemporaine[4] cite Bernard Huet, architecte post-moderne connu pour ses ouvrages bavards et historicistes. A-t-il seulement visité ce site universitaire ? N’ayant vu sans doute que la maquette, il en dresse un tableau sévère, fustigeant « une grande machine pseudo-technologique qui fait office de “monument symbolique”, celle-là même que traînent dans leurs rêves les architectes qui confondent grandeur avec grosseur, puissance avec sur-dimension, architecture avec construction, et simulent un expressionnisme technologique d’autant plus désespérément que la vraie technique échappe à toute forme. »[5] Par quel aveuglement Huet n’a-t-il pas compris toute la subtilité des creux et des pleins, des parcours où alternent ombres et lumières, des patios ouverts et des cours fermées. La modularité est un atout pour un programme qui évolue dans le temps, par le nombre de sa population comme par les types d’enseignements. Et par sa souplesse, cette modularité n’est pas source de sécheresse, bien au contraire, avec alternance de volumes de différentes hauteurs, de places minérales et végétales, de parcours sombres puis lumineux…
Fruit d’une collaboration entre deux entreprises, l’une algérienne l’autre japonaise, il m’a semblé que ce campus universitaire construit il y a près d’un demi-siècle avait toujours et plus que jamais sa place dans l’architecture algérienne contemporaine, et que sa fonctionnalité n’était pas remise en cause. D’ailleurs les enseignants du département d’architecture, déménagés des bâtiments de Kenzo Tange pour être installé dans une pâle imitation de son architecture en bordure de terrain, regrettent leur installation d’origine.
Vincent du Chazaud, le 4 juin 2024.
Arrivée à l’Université des Sciences et Technologies d’Oran (USTO)
Amine et Djillali devant la tour de l’administration Mobilier avec assise et dossier en bois
Passerelle avec poutres précontraintes, bâtiment d’enseignement avec brise-soleil
[1]Voir article de BEKKOUCHE Ammara, Insaniyat, no 23-24, janvier-juin 2004, p. 79 à 90.
[2]« Université et développement, Oran : une grille métaboliste », L’Architecture d’Aujourd’hui, no 183, janvier-février 1976, p. 24 à 29.
[3] « (O) rond, Oran », titre de l’actuelle et magnifique exposition de photos d’Amine Taïbi à l’école d’architecture d’Oran.
[4] BERTAUD DU CHAZAUD Vincent et Soraya, L’architecture en Algérie de 1830 à nos jours, éditions Le Moniteur, Paris, 2023, pp. 266 à 268
[5] HUET Bernard, Anachroniques d’architecture, éditions archives d’architecture moderne, Bruxelles, 1981, p. 120.
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