BILLET n°195 – ÉGLISE SAINT-LOUIS DE VINCENNES (1)
Autrefois zones agricoles, l’ouest de Vincennes se peuple à partir de la fin du XIXème siècle, sous la poussée démographique de Paris et la démolition des fortifications. Les transports sont facilités entre Paris et sa banlieue est. Le premier tronçon de « chemin de fer métropolitain » (la ligne 1) ouvre au public en 1900, pour l’Exposition universelle et les Jeux olympiques. L’urbanisation se développe rapidement, grâce à des initiatives tant privées que collectives, telle la Caisse de Prévoyance, fondée en 1847 par des artisans, nom qui sera donné au quartier. Bientôt des équipements sont nécessaires pour accompagner l’habitat en pleine expansion : écoles, lieux de culte, salles de réunions, etc.
Avec la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 (2) , le désengagement de ce dernier complique le financement des lieux de culte. Pour l’église Saint-Louis de Vincennes, l’abbé Lerebourg de Saint-Mandé réunit les fonds nécessaires dès 1908 et acquiert un terrain à cheval sur les communes de Vincennes et de Saint-Mandé. Le terrain de forme trapézoïdal est entouré sur trois côtés des rues Fays, Massue et Céline Robert. Le quatrième côté du terrain jouxte la synagogue construite dès 1907.
La société immobilière La Française, maître d’ouvrage désigné par l’Évêché, établit un cahier des charges qu’elle soumet aux concurrents en septembre 1912. La commission diocésaine d’architecture se réunit le 11 décembre 1912 et désigne lauréat à l’unanimité, sur les neuf présentés, le projet des architectes trentenaires Jacques Droz et Joseph Marrast. Le choix de ce projet innovant et audacieux, et la jeunesse des lauréats marquent « une relève des générations au sein du mouvement rationaliste, avec une nouvelle génération d’architectes pour qui la construction d’une église est un acte de foi. » (3)
Avec ce projet, le jury fait le choix d’une architecture novatrice, en rupture avec les méthodes constructives et les styles ayant inspiré des églises du XIXème siècle. Le béton armé, qui prend son essor au début du XXème siècle, ouvre aux architectes des perspectives innovantes, ce que soulignera plus tard le peintre Maurice Denis quand il écrit en 1933: « La seule logique de la construction avec des matériaux modernes peut suffire à édifier des monuments religieux d’une grande noblesse et qui ne doivent rien aux styles du passé. » (4) C’est le cardinal archevêque de Paris qui, en 1924, donne à l’église le nom de Saint Louis, canonisé par l’Église catholique en 1297.
Pour le parti architectural, les architectes adoptent un plan carré pour la nef, en croix grecque, prolongée à l’est par un demi-octaèdre pour l’abside. L’ensemble s’apparente au style néo-byzantin, mais au lieu d’être en plein cintre, voûtes et arcades sont brisées en leur sommet, tandis que la coupole est remplacée par une lanterne en octaèdre régulier. L’influence byzantine se manifeste aussi par le mélange de matériaux, la pierre et la brique, l’emploi de la céramique en remplacement de la mosaïque, des fresques colorées.
Respectivement diplômés en 1907 et en 1919, Joseph Marrast et Jacques Droz cultivent le goût pour l’éclectisme enseigné dans l’atelier de Marcel Lambert dont ils sont les élèves. Pourtant les idées rationalistes énoncées par Eugène Viollet-le-Duc et Émile Trélat, créateurs de l’École spéciale d’architecture en réaction contre l’académisme, ainsi que l’attrait de nouveaux matériaux prometteurs tels que le béton armé, vont séduire les deux architectes. Ce sont d’ailleurs les ingénieurs de BAH (Bétons armés Hennebique) qui se chargent des études de structure pour les grandes arches d’une portée supérieure à 20 mètres. Le bâtiment présente des similitudes, quant à la hardiesse des techniques, avec l’église Notre-Dame de la Consolation du Raincy des frères Perret, consacrée un an plus tôt le 17 juin 1923.
La brique n’est utilisée pour les façades de l’église que pour les linteaux et arcs des ouvertures. Lisse et rouge, ce matériau industrialisé est associé à la meulière, pierre naturelle d’aspect bréchique et alvéolaire, aux teintes variant du beige au brun foncé, très utilisée à cette époque dans la construction des pavillons de banlieue.
Afin de respecter l’enveloppe budgétaire fixée par la Commission diocésaine d’architecture fixée en séance du 21 mai 1914, les architectes réduisent leur projet, suppriment le campanile et le baptistère, qui ne seront construits qu’en 1934, ainsi que la tribune de l’orgue, enfin ils prévoient un simple enduit à la chaux pour recouvrir les pierres meulières des murs intérieurs. Ils seront peints de fresques murales à la fin du chantier après-guerre, avec un autre budget. Les travaux démarrent au milieu de l’année 1914, peu avant la déclaration de guerre du 28 juillet. Interrompus au début de l’année 1916, le chantier ne reprend qu’au début de l’année 1920, et l’église est consacrée le 9 novembre 1924.
Tout est pensé, dessiné, pour une « œuvre totale » entièrement dévolue à l’art sacrée. Bien que faisant appel à plusieurs artistes utilisant des techniques différentes (peinture, ferronnerie, verrerie, céramique, sculpture), grâce à la maîtrise des architectes Droz et Marrast il se dégage de l’église Saint-Louis de Vincennes une grande unité. À l’intérieur, béton, briques et meulières enduits reçoivent des peintures décoratives ; seul le bois de la charpente est apparent. La lumière naturelle, discrète, pénètre à travers une série de baies identiques : les panneaux, assemblage de briques de verres colorés encastrés dans le ciment, sont réalisés au sol puis élevés à l’aide de poulies et mis en place. Ces verres aux teintes chatoyantes (rose, mauve, vert) sont fabriqués par la société Saint-Gobain.
Les fresques des Béatitudes sont exécutées en 1923 par le peintre Maurice Denis, avec l’aide de Pierre Dubois et Albert Martine, des artistes formés aux Ateliers d’art sacré (5). Perchées à 20 mètres du sol, ces huit fresques sont de très grande taille (4,50 x 3,50m). La réalisation de ces œuvres dites a fresco (6) sera éprouvante pour Maurice Denis, alors âgé de plus de 50 ans et souffrant de maux oculaires.
En 1927, Maurice Denis réalise, aidé d’autres artistes venus des Ateliers d’art sacré (Gabrielle Faure, Charles Plessard et Maurice Lavergne), la grande composition intitulée La glorification de Saint-Louis sur le fond à facettes du chœur. Devant un fond arboré, entourant le roi Louis IX qui rend la justice sous un gros chêne, on y reconnaît à droite les architectes : Joseph Marrast traçant un plan à l’aide d’un compas sur un parchemin sur lequel est écrit « Spirit of Saint-Louis » (7) , Jacques Droz, juché sur une échelle et surveillant les travaux. Pour cette œuvre d’envergure, Maurice Denis emploie pour la première fois une peinture nouvellement mise à la disposition des peintres en bâtiment, le Stic B, une peinture laquée ou mate, prête à l’emploi. Il s’agit un enduit plastique hydrofuge, principalement utilisé en façade des bâtiments. L’une des raisons de son succès auprès des fresquistes, c’est sa facilité d’emploi.
Le peintre Henri Marret exécute les fresques du porche, ainsi que les quatre évangélistes représentés autour de la coupole. Au-dessus de l’autel, le Christ pantocrator (Tout puissant) est son œuvre, ainsi que le saint Jean-Baptiste des fonts baptismaux situé à droite en entrant dans l’église à droite, au pied du clocher. Enfin en 1921 il achève sur les murs entourant la nef, le Chemin de croix avec ses quatorze stations de grandes dimensions (2,25 x 2,25m chacune). Les scènes aux couleurs vives sont animées par un grand nombre de personnages.
Maurice Dhomme, un ancien potier, remet à l’honneur la céramique. Jamais une église n’avait accueilli autant de décors créés avec cette technique qui rend la couleur pérenne et lumineuse ; ici c’est le bleu qui domine. Le chœur abrite la pièce maîtresse de l’artiste : le maître-autel et son fond de céramique outremer, ponctuée de fleurs blanches.
Raymond Subes, ferronnier d’art très actif et souvent sollicité par les architectes durant cette période de l’entre-deux-guerres, réalise pour Saint-Louis de Vincennes les grilles en fer forgé de l’entrée et celles de la table de communion (aujourd’hui démontées), la porte du tabernacle du maître-autel (avec deux paons), les portes des chapelles latérales, enfin les grilles protégeant les ex-voto.
Carlo Sarrabezolles, sculpteur prolifique et force de la nature, réalise au pied du clocher, sur un béton sec taillé au ciseau, l’imposante sculpture représentant saint Louis les bras chargés de pain pour les pauvres. Un autre sculpteur, Armand Boutrolle, conçoit les statues placées au-dessus des autels des chapelles latérales, le Sacré-Cœur pour celle de gauche, la Vierge à l’Enfant pour celle de droite.
Si l’église a gardé aujourd’hui son unité architecturale et l’homogénéité de sa décoration, on le doit sans doute à Joseph Marrast qui, après avoir été un architecte de chantier attentif, est demeuré architecte paroissial jusqu’en 1971, veillant ainsi au maintien de l’église dans son aspect d’origine et à l’unité de son décor.
Le 9 novembre 2024, l’église Saint-Louis de Vincennes fête ses cent ans.
Vincent du Chazaud, le 14 octobre 2024
(1) Texte extrait de l’ouvrage à paraître le 23 octobre 2024, « Art déco / Cinq bâtiments emblématiques » aux éditions du Moniteur.
(2) Cette loi, votée dans un climat politique hostile à l’Église, a eu l’effet paradoxal d’accélérer la construction de lieux de culte.
(3) Guillaumat (Paul) Paul, de Marttel (Claude), Il était une Foi – L’église Saint-Louis de Vincennes, édition à compte d’auteur, 2015, p.80 (citant un commentaire de Simon Texier).
(4) Le Ciel et l’Arcadie, textes réunis, présentés et annotés par Jean-Paul Bouillon, éditions Hermann, Paris, 1993.
(5)En 1919 Maurice Denis crée, avec le peintre Georges Desvallières, une école organisée en ateliers comme les anciennes corporations, œuvrant collectivement pour les commandes des évêchés. Les Ateliers d’art sacré ont la volonté de renouveler l’art d’église en réaction contre les productions d’art religieux académiques et saint-sulpiciennes, mais également contre les mouvements d’avant-garde comme le cubisme.
(6) La technique a fresco (de l’italien affresco, « dans le frais ») consiste à appliquer une peinture à l’eau sur un enduit frais constitué de sable et de chaux.
(7) Le Spirit of Saint-Louis est le nom du monoplan de l’aviateur américain Charles Lindbergh, qui effectua en mai 1927 la première traversée de l’Océan Atlantique sans escale et en solitaire (de New York au Bourget).
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