BILLET n°196 – HÔTEL DE VILLE DE PUTEAUX (1)

Dans les années 1920, l’ancienne mairie de l’architecte Paul-Eugène Lequeux (1806-1873) ne correspondait plus aux besoins de la commune de Puteaux, alors en pleine expansion démographique et économique. D’environ 5.000 habitants au milieu du XIXème siècle, la commune de Puteaux compte 44.000 habitants en 1930 (2) . Proche de Paris, cette bourgade rurale de la rive gauche de la Seine, autrefois réputée pour la culture de la rose, est devenue une importante cité industrielle.

Un concours pour le nouvel hôtel de ville de Puteaux est lancé en 1930. Le programme de la municipalité est ambitieux. D’abord le terrain retenu par la mairie, où étaient installés le marché et une ancienne tannerie, est complexe dans sa géométrie et son relief. Ensuite, à un programme classique de mairie est accolé une bibliothèque ainsi que d’autres services, un bureau de postes, une caserne de pompiers avec des logements, une justice de paix, une recette des impôts, ainsi qu’un grand garage pour les véhicules municipaux. Le projet est lancé par le maire SFIO Marius Jacotot (3), lequel meurt en 1930 durant son mandat de maire. Son successeur, Georges Barthélémy (4), également affilié à la SFIO, mènera ce projet à son terme, soutenu par Henri Sellier (5), homme politique influent et ancien conseiller municipal de Puteaux, avant que les deux hommes ne rentrent en conflit.

Pour ce concours de l’hôtel de ville de Puteaux, Édouard Niermans, encore élève à l’École des beaux-arts, s’associe à son frère aîné Jean, lequel, tout juste pensionnaire de l’Académie de France à Rome, est sans illusion sur son issue. Ce sera pourtant le début d’une association qui va se poursuivre durant plus d’une trentaine d’années, avec la réalisation d’environ deux cents affaires importantes. Les projets étant anonymes, Édouard prend comme sigle « Le Triangle d’or », renvoyant à la fois à la forme du terrain, ainsi qu’au titre d’un roman de Maurice Leblanc paru en 1918 mettant en scène Arsène Lupin.

Le projet des Frères Niermans est déclaré lauréat en 1930, à l’unanimité du jury. Sont appréciés son parti monumental, alliant classicisme et modernité, et un plan clair, malgré un programme complexe. Deux autres projets sont primés, celui de Marcel Chappey et celui de Robert Bouchet. Ces trois esquisses se détachaient nettement, par leur modernité, de celles des autres concurrents à l’architecture passéiste et éclectique. Sur le choix du jury et les projets présentés, Henri Sellier, alors maire de Suresnes et sénateur de la Seine, relate ainsi le choix du jury, lors de l’inauguration le 23 juin 1934: « À trois exceptions près, tous les auteurs s’étaient nettement inspirés de la glorieuse conception, dont le triomphe éclatant a marqué depuis la République la floraison des hôtels de ville de banlieue. Ah ! Les clochetons ne manquaient pas ! Le beffroi, né du besoin moyenâgeux de faire le guet, dans la ville menacée par l’incendie à sa périphérie, pour la sauvegarder des incursions périodiques des bandes armées, et qui n’a plus de raison d’être, ni signification, triomphait avec impudence. Le grand escalier d’honneur occupant la moitié de la surface et reléguant les bureaux sous la courbe obscure de ses degrés majestueux, la salle des fêtes et ses plafonds vigoureusement renforcés par des pâtisseries de staff et décorés de nymphes aux cuisses émues et aux joues bonbons anglais, des cariatides impressionnantes et vigoureuses qui ne portent rien, quelques ferronneries laborieusement tortillées à la Guimard, des colonnes doriques, ioniques, corinthiennes, couronnées de perles entremêlées de feuilles d’acanthe… on en avait mis partout ! ».

Démarré en 1931, le chantier est mené tambour battant par Édouard Niermans. Son frère Jean, quant à lui, dessine les détails d’exécution du projet depuis Rome, où il réside. L’inauguration de l’hôtel de ville a lieu le 23 juin 1934.
Les architectes ont adopté pour le projet une grande rigueur classique, proche dans le dessin de l’architecture d’Auguste Perret, sans référence manifeste à l’antique. Les frères Niermans utilisent cependant la pierre et non le béton en façade, comme précédemment Albert Laprade pour le palais de la Porte-Dorée, avec des bas-reliefs d’Alfred Janniot pour ces deux édifices.
La compacité des volumes, la rigueur de l’organisation en plan, l’intelligente adaptation du programme au terrain, ont permis la construction d’une architecture prestigieuse, sans exagération, avec un matériau noble, la pierre, dans un budget tenu et raisonnable. Dans son discours d’inauguration Henri Sellier y fait référence : « La dépense ? Farceurs ! Avec l’argent d’un paquebot démodé en cinq ans, on construirait cent hôtels de ville comme celui de Puteaux. La mairie a moins coûté que deux années de secours de chômage ! Le laid bon marché est du gaspillage. Le beau, payé son prix, est une économie ».

Les Frères Niermans ont l’habitude de faire appel dans leurs projets à des artistes de renom de la période Art déco, en majorité grands prix de Rome, que l’on retrouve également à l’œuvre avec d’autres architectes. Pour l’hôtel de ville de Puteaux, les excellents résultats de l’appel d’offres vont permettre aux architectes de dégager un budget conséquent pour la décoration.
Le mobilier est conçu par eux, influencé par Jacques-Émile Ruhlmann. Une partie de ce mobilier est encore en place aujourd’hui, comme celui de la salle des mariages, avec ses sièges en noyer ciré, revêtus de cuir bleu. Un grand décor peint a fresco orne les quatre murs de la salle des mariages, œuvre du peintre Pierre Dionisi, intitulé Les bienfaits de la vie.
Le peintre Louis Bouquet signe la grande fresque de l’escalier d’honneur illustrant l’histoire de la commune de Puteaux.
Le célèbre ferronnier Raymond Subes, qui travaille avec les plus grands décorateurs et architectes de l’époque, réalise les grilles et les portes du bâtiment.

Les édiles de Puteaux seront reconnaissants envers les frères Niermans pour leur travail sur l’hôtel de ville. Dès 1933, avant même l’achèvement du chantier, sous la mandature de Georges Barthélémy, la municipalité leur confie le groupe scolaire Marius-Jacotot, projet de diplôme d’Édouard Niermans. Inaugurée en 1938, cette architecture exemplaire du style « paquebot » et revêtue de briques rouges, rompt avec le goût classique pour une modernité tempérée. Entre 1938 et 1940, ils réalisent également le dispensaire de la commune, puis le stade et la piscine municipale sur l’île de Puteaux, enfin après la Seconde Guerre mondiale, ils construisent la crèche et l’école maternelle rue Félix Piat (1949), ainsi que 1250 logements HLM rue Charles Lorilleux (1953-1967).
Au moment où l’hôtel de ville de Puteaux est inauguré en 1934, les Frères Niermans remportent le concours pour celui d’Alger, avec l’Algérois Jean Ferlié comme architecte d’opération. Ce projet d’Alger reprend librement les grands principes du parti classique de l’hôtel de ville de Puteaux, mais les architectes s’affranchissent des codes ornementaux de l’Art décoratif et sont influencés par l’architecture d’Auguste Perret. Vicissitudes politiques et économiques feront que le chantier de l’hôtel de ville d’Alger va s’étirer dans le temps, il ne sera finalement achevé qu’en 1951.

Aujourd’hui situé dans le « Bas de Puteaux », à proximité du quartier résidentiel et HLM du « Haut de Puteaux » et de la Défense, l’hôtel de ville de Puteaux construit en 1934 est toujours en fonction, avec les autres activités qui y sont adjointes dès l’origine, face à un square sous lequel est installé un parc de stationnement.

Vincent du Chazaud, le 14 octobre 2024

(1) Texte extrait de l’ouvrage à paraître le 23 octobre 2024, « Art déco / Cinq bâtiments emblématiques » aux éditions du Moniteur.
(2) Depuis la population est restée stable, 45.000 habitants sont recensés en 2015.
(3) Marius Jacotot (1869-1930), est un ouvrier mécanicien à l’Arsenal de Puteaux qui prend des responsabilités de syndicaliste, coopérateur et mutualiste. Entré à la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), il est élu président du conseil d’arrondissement (1912-1925), conseiller général et maire de Puteaux (1925-1930) jusqu’à sa mort durant son mandat.
(4) Georges Barthélémy (1887-1944), militant syndicaliste, secrétaire du sénateur socialiste Lucien Voilin, maire de Puteaux de 1912 à 1925. Élu premier adjoint de Puteaux, Barthélémy succède à Jacotot au décès de celui-ci en 1930. D’abord proche d’Henri Sellier, la proximité de Barthélémy avec le régime de Vichy les fait s’éloigner. En 1944, il est assassiné par deux militants communistes.
(5) Henri Sellier (1883-1943) connaît une prolifique carrière politique : conseiller municipal de Puteaux (1909-1919), maire de Suresnes (1919-1941), conseiller général du canton de Puteaux (1910-1925), conseiller général du canton de Suresnes et Nanterre-Sud (1925-1935), sénateur de la Seine (1935-1943), président de l’Office public d’habitations à bon marché de la Seine (OPHBM), ministre de la Santé durant le Front populaire. Il promeut des cités-jardins dans les banlieues ouvrières, dont celle emblématique de sa ville de Suresnes.