Billet n°202 – M. LE CORBUSIER – 35 RUE DE SÈVRES – PARIS 6ème
Fin 2024, à une semaine d’intervalle il y eut d’abord le colloque international « Auguste Perret, 1874-1954 : un anniversaire », puis les XXIIe Rencontres de la Fondation Le Corbusier « L’envers et l’endroit de l’atelier du 35 rue de Sèvres ».
Le premier a déjà fait l’objet des trois derniers billets, n’en parlons plus.
Le second fut plus mouvementé, surtout en fin de matinée de la deuxième journée, Le Corbusier aiguisant toujours les passions.
Le Corbusier fit sa première formation d’architecte de la modernité dans l’agence des frères Perret, Auguste et Gustave. C’est là en 1908 et 1909 qu’il découvre le béton armé, dans une agence d’architecture couplée d’une entreprise (1) . Cette année-là, l’entreprise Perret vient remplacer l’entreprise Cottancin en difficulté sur le chantier de la cathédrale d’Oran de l’architecte Albert Ballu. « 1908 ! Les Frères Perret construisaient en tant qu’entrepreneurs la cathédrale d’Oran en béton armé, œuvre de M. Ballu. Et là déjà, s’exprimait la pleine maîtrise de ces deux hommes. Entrepreneurs responsables du prix, de la solidité et des délais, autorisés par je ne sais quel miracle à employer le béton armé, ils étaient devenus l’âme de l’affaire. Et, à vrai dire, par la reprise totale des plans de l’architecte, par leur traduction, leur interprétation, par leurs calculs et leurs dessins, ils instauraient dès ce moment cette fonction nouvelle qu’attend l ‘époque : le Constructeur ; ni l’ingénieur seul, ni l’architecte seul, mais tous les deux dans un tout responsable. Des circonstances heureuses leur permettaient de jouer ce rôle : un tempérament, une tradition familiale de l’entreprise et un fonds de commerce qu’ils exploitaient et la présence d’un troisième frère, Claude, qui faisait tout ce que le crayon ne faisait pas. (2) » Dans l’agence, Le Corbusier y dessine une perspective aquarellée de l’intérieur de la cathédrale, et peut-être des éléments de claustras. Plus tard, dans les années 1920 quand il se met à son compte, il fait son papier à lettre avec en-tête « Charles-Edouard Jeanneret, Béton armé », à l’identique de celui des Perret, « Perret Frères, Béton armé ».
Le Corbusier, comme l’entreprise Perret, les deux sont intéressés par la préfabrication, ils déposent des brevets. Pour les Perret, dans les années 1920 les brevets font partie de la stratégie de l’entreprise pour une opportunité, dans le présent, avec la reconstruction par des procédés industrialisés des zones sinistrées par la Première guerre mondiale, et au-delà, dans l’avenir, d’un mode nouveau de construction. Dès 1914, Le Corbusier dépose le brevet de sa maison « Dom-ino », construction préfabriquée et industrialisée d’éléments modulables.
La question de la préfabrication intéresse également un autre constructeur dans les années 1930, Jean Prouvé avec le métal.
Ces trois, Auguste Perret, Le Corbusier et Jean Prouvé, dont aucun ne possède le diplôme d’architecte, vont être des acteurs majeurs de l’architecture du XXème siècle. Il faut pourtant faire la distinction entre Perret et Prouvé d’une part, inventeurs et constructeurs, et Le Corbusier d’autre part, artiste et urbaniste.
Perret et Prouvé sont à la fois ingénieurs autodidactes, concepteurs mais surtout constructeurs, l’un avec le béton, l’autre avec l’acier. N’est-ce pas cette dernière fonction qui a manqué à Le Corbusier pour être un innovateur, comme il le fut pour l’urbanisme, dans l’acte de construire ?
Quand Le Corbusier crée en 1943 un bureau d’études, l’At-Bat, ne cherche-t-il pas à se rapprocher du constructeur, c’est-à-dire avoir la maîtrise de l’acte de construire ? Maîtriser à la fois création (l’architecte), conception (l’ingénieur), construction (l’entrepreneur)… La maîtrise de cette dernière phase aura cependant manqué à Le Corbusier, d’ailleurs il délègue volontiers à Wogenscky les tâches de suivis de chantier en France, et à Pierre Jeanneret sur les chantiers de Chandigarh en Inde. Dans les années 1920, le jeune Charles-Edouard Jeanneret a échoué dans la reprise d’une fabrique de matériaux de bâtiment. Peut-être Le Corbusier, après l’At-Bat, caresse-t-il le projet de maîtriser totalement l’acte de construire, comme le feront Perret et Prouvé, pour lesquels il avait estime et admiration.
En écho à ce qu’il écrivait en 1932 à propos d’Auguste Perret, cité plus haut, en 1964 Le Corbusier écrit à propos de Jean Prouvé :
« Jean Prouvé est de la « Dynastie Nancy ».
1900, l’École de Nancy : Victor Prouvé (père de Jean), Gallé, Majorelle, Daum, etc… : les créateurs et les artisans du « Nouveau Style ».
Un demi siècle a passé. Jean Prouvé est de même sang créateur, mais il exprime le temps présent. Il est « ingénieur-architecte », -réunis en un seul homme,- ce qui est exceptionnel ».
Ce vingt-deuxième colloque sur Le Corbusier s’est achevé sur un coup d’éclat, quand deux intervenants roumains, un monsieur âgé et une jeune femme, se sont invectivés sans que l’on comprenne bien pour qui et pour quoi… Corbu échauffe les esprits, Perret les apaise…
Vincent du Chazaud, 14 décembre 2024
1 « Ils (Auguste et Gustave Perret) instauraient dès ce moment cette fonction nouvelle qu’attend l’époque : le Constructeur ; ni l’ingénieur seul, ni l’architecte seul, mais tous les deux dans un tout responsable » (Le Corbusier à propos de la cathédrale d’Oran, L’Architecture d’Aujourd’hui, III, 1932, n°7, P.7).
2 Le Corbusier, « Perret », L’Architecture d’Aujourd’hui, III, 1932, n°7, p.7
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