Le dictionnaire historique de la langue française « Le Robert » précise que le mot patrimoine est emprunté vers 1150 au latin patrimonium pour signifier un « bien de famille ».
Avec son sens premier, « ensemble des biens appartenant au pater familias », il est dérivé, par l’intermédiaire de l’adjectif patruus, de pater, le père.
Il prend en 1823 la valeur générale de « ce qui est transmis à une personne, à une collectivité par les ancêtres, les générations précédentes » ; c’est ainsi qu’en biologie on parle de « patrimoine génétique », et récemment en sociologie, on utilise le mot « patrimoine » pour désigner l’héritage des biens matériels et intellectuels d’une communauté.
C’est à partir des excès de la Révolution française que naquit la prise de conscience que la destruction des biens de l’église et de la noblesse serait une perte irréparable pour la connaissance et la transmission de notre histoire et de nos savoir-faire. Un homme de théâtre et critique d’art, le peintre Alexandre Lenoir, réunit des vestiges architecturaux menacés de dilapidation ou destruction pour les entreposer au couvent des Petits-Augustins, puis les exposer au public à partir de 1795 dans ce lieu qui devient le musée des Monuments français. Après la suppression des Académies en 1793, l’Ecole des beaux-arts naîtra sur ce site à partir de 1830 sur des dessins de François Debret et surtout de son beau-frère Félix Duban qui mena des chantiers successifs jusqu’en 1870, année de son décès.
« Respectez les œuvres, c’est le patrimoine du genre humain » déclare Romain Rolland, à la fin du XIXème siècle, peu après que Prosper Mérimée, nommé Inspecteur général des monuments historiques en 1833, assisté de Viollet-le-Duc, eut dressé le premier inventaire du patrimoine architectural de la France, afin d’éviter la ruine ou la destruction de quelques dignes témoins de notre histoire. En 1851, la Commission des monuments historiques met sur pied la Mission héliographique, composée de Le Gray, Mestral, Le Secq, Baldus et Bayard, afin de recenser et fixer sur des clichés photographiques les monuments ayant un intérêt historique pour la nation.
Il faudra attendre 1913 pour que cet inventaire fasse l’objet d’une protection réglementée avec la loi du 31 décembre sur les monuments historiques, suivie par la loi du 2 mai 1930 sur les sites, puis celle du 4 août 1962 sur les secteurs sauvegardés, enfin la loi du 7 janvier 1983 pour les zones de protection du patrimoine architectural et urbain, complétée en 1993 par les paysages (ZPPAUP).
Aujourd’hui, le terme « patrimoine » ne s’applique pas uniquement aux œuvres humaines, mais également aux sites naturels, et il a dépassé le cadre national pour celui de « patrimoine de l’humanité » avec une liste établie par l’UNESCO (le Mont-Saint-Michel, les cathédrales gothiques d’Ile-de-France, les châteaux de la Loire et récemment la ville du Havre reconstruite par Auguste Perret après les bombardements de la Deuxième guerre mondiale). À l’opposé de ces sites prestigieux reconnus mondialement, on accole le terme de « patrimoine » à des constructions plus modestes, parfois inutilisées (lavoirs, moulins, granges…) et non inventoriés sur des listes officielles, afin de leur donner du prestige et éviter leur disparition.
Le marché de l’entretien-réhabilitation est important, il représente 55% du marché du bâtiment. 300 000 entreprises artisanales du bâtiment réalisent 70% de leur chiffre d’affaires sur ce marché. Le patrimoine des 17ème, 18ème et 19ème siècles représente 65% du bâti, et 70% des chantiers de restauration concernent cette période (dont 37% pour le seul 19ème siècle). Une forte proportion des travaux des artisans porte sur la maison individuelle (laquelle représente 55% du bâti). « L’architecture française contemporaine est d’abord une question de chiffres » écrit François Loyer en préface à l’ouvrage de Bernard Toulier sur l’architecture et le patrimoine XXème en France. C’est en effet treize millions de logements qui ont été construits durant les quatre décennies d’Après guerre, soit à raison de quatre personnes par logement, de quoi loger toute la population française… aussi le problème des sans abris et des demandes de logements insatisfaites n’est pas un problème de capacité mais de répartition. La demande est très forte proche des lieux attractifs, centre-ville en particulier, d’où l’importance à améliorer l’image des périphéries urbaines et de recoudre les tissus urbains et sociaux distendus ou déchirés, afin que la répartition des différentes couches sociales se fasse de façon plus équilibrée sur l’ensemble du territoire urbain.
L’histoire de l’architecture met en lumière sa complexité et développe le sens critique sur l’esthétique, conséquence du site, des techniques, des matériaux, du programme, du commanditaire, soumise aux aléas des modes et du temps. Les bouleversements les plus importants dans la construction apparaissent avec l’ère industrielle et le développement des voies de communication, notamment le chemin de fer, au milieu du XIXème siècle.
Le défilé chronologique de l’histoire des techniques permet de suivre les évolutions de l’art de construire, en pointant sur quelques grands courants artistiques et mutations techniques qui influeront sur les modes constructifs régionaux et sur les courants stylistiques nationaux (Art nouveau, Art déco, Mouvement moderne…).
Autant que l’entretien et la conservation des bâtiments, c’est la transmission du geste qui a permis de les élever qui importe. Pour être compris et réinterprété dans notre temps, les processus de construction doivent être resitués dans l’espace (les savoir-faire, les techniques et les matériaux) et dans le temps (histoire de l’art et de l’architecture).
Concluons avec ce propos de l’architecte André Wogenscky, qui fut longtemps un proche collaborateur de Le Corbusier: « Je ne crois pas qu’on fasse de l’architecture avec de la matière. Je crois qu’on fait de l’architecture avec de l’énergie. C’est toute la différence qu’il peut y avoir entre un tas de pierres au bord du chemin et, simplement, le beau mur que le bon maçon est capable de construire avec ces pierres ». Ce sont ces deux composantes de l’architecture qui doivent être pérennisées, l’énergie et la matière, qui sont intimement liées quand l’œuvre s’impose.
Vincent du Chazaud, le 5 janvier 2013