Billet n°37- A PIERRE, A FRANCIS[1] … ET A HENRI[2]?
Alors que duo, trio, quatuor finissent trop souvent par une brouille, c’est précisément par une brouille que débute le duo indéfectible et l’amitié indestructible de Pierre Dac et de Francis Blanche. En 1949, une bande de branques, parmi lesquels Francis Blanche et Robert Dhéry, unissent leur humour potache et créent la compagnie des « branquignols » qui se produit au théâtre des Batignolles… Un soir Pierre Dac déboule furibard, estimant avoir été plagié, alors qu’il sombrait dans l’oubli. La franche explication débouche sur une coopération que seule la mort va interrompre. Blanche, emporté à cinquante deux ans par une crise, cardiaque cette fois-ci et non de rire, sera suivi peu de temps après par Dac qui affirmait de son vivant que la mort était un manque de savoir-vivre : beau saut périlleux verbal au seuil de l’insondable par ces élégants princes de l’absurde.
Leur rencontre sera marquée par une fusion, celle du « Parti d’en rire » de Francis Blanche, avec le « Parti sans laisser d’adresse de Pierre Dac, ce qui d’ailleurs aurait pu donner naissance au « Parti de rien »…. En fait en 1965, tant les temps sont durs, c’est le M.O.U. qu’ils créent, le « Mouvement Ondulatoire Unifié ». Devançant Coluche et sa candidature à la magistrature suprême en 1981, Pierre Dac envisage de se présenter aux premières élections présidentielles au suffrage universel en 1965, mais la magistrature suprême, ce n’est pas de la tarte à la crème. Avant que ça ne se termine en entartrage général façon Charlot, sous la pression « amicale » mais non moins « menaçante » de l’entourage du général de Gaulle, Pierre Dac retire sa candidature et s’en explique dans son journal « l’Os à moelle », éreintant au passage l’extrême droite : « Lorsque j’ai appris que Maître Tixier-Vignancour se présentait lui aussi à la magistrature suprême, j’ai compris que je n’avais pas d’autre issue que de renoncer. Le représentant des loufoques que je suis ne possède en effet aucune chance contre ce représentant de l’extrême droite la plus dure qui, sur le terrain de l’absurde, me semble imbattable… »
Créé avant-guerre, « l’Os à moelle » emprunte à Rabelais, dont Dac, sans qu’on lui force la main, est certainement un descendant direct grâce au zouave de sa sœur. Il y a dans cet os à ronger une marque de gratitude envers le père de Gargantua, notamment quand il nous recommande de le briser pour en tirer sa « substantifique moelle ». Dans l’édito du premier numéro paru le 13 mai 1938, Pierre Dac nous donne une définition très personnelle, donc forcément loufoque, du titre qu’il a choisi : « Ce titre « l’Os à moelle » est véritablement l’expression synthétique de nos buts et de nos aspirations. C’est tellement facile à comprendre que je juge parfaitement inutile de donner des explications qui ne feraient qu’embrouiller la chose par laquelle je vous expose la clarté de nos intentions ».
Plus loin, il va donner sans doute naissance au personnage d’Assurancetourix, le barde gaulois créé par Goscinny. En effet Pierre Dac poursuit son édito par un tracé historique de l’os à moelle : « Au temps des Gaulois, le fameux gui qu’adoraient ces derniers n’était autre que l’os à moelle qui, à l’époque, n’était pas encore passé du règne végétal au règne animal : les campagnes celtes verdissaient à l’ombre des ossemoelliers, aux pieds desquels les comiques en vogue chantaient leurs plus désopilants refrains, dont l’un des plus célèbres, « Le druide à perdu son dolmen » est parvenu jusqu’à nous. » Pas étonnant donc cette filiation, René Goscinny sera de l’équipe de « l’Os à moelle » a la fin des années cinquante.
Pierre Dac possède sans nul doute des dons divinatoires, et il en use et en abuse jusqu’à l’absurde avec son compère Francis Blanche dans un sketch aux répliques dadaïstes , « Le Sâr Rabin Dranath Duval » : « Pourquoi le Sâr a-t-il le don de double vue ? Parce qu’il voit double quand il a trop bu… » La légende veut qu’ils avaient eu l’un et l’autre ce don de double vue lors d’un enregistrement sur Europe n°1, pendant lequel, fait rarissime, Pierre Dac perdit son sérieux.
Ce don divinatoire, il l’exerça contre Philippe Henriot, triste sire de la propagande vichyste qui brossait les bottes des nazis, et qui dénia à Pierre Dac son appartenance à la France. Le 11 mai 1944, sur les ondes de la BBC, Pierre Dac réplique dans un texte grave, pour une fois, mais non sarcastique, intitulé « Bagatelle sur un tombeau », allusion au triste écrit antisémite de Céline, « Bagatelle pour un massacre » publié en 1937. Après avoir proposé à Henriot de se rendre sur la tombe de son frère Marcel Isaac, tué sur le front en Champagne en 1915, au cimetière Montparnasse, il termine en prophétisant : « Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription, elle sera ainsi libellée : « Philippe Henriot, mort pour Hitler, fusillé par les Français ». Bonne nuit monsieur Henriot , et dormez-bien si vous le pouvez… » Henriot sera tué un mois plus tard le 28 juin 1944 par la Résistance.
Enfin j’aimerais, avant de succomber moi aussi, clore ce « pensum » par cette citation latine, n’importe laquelle, que Pierre Dac traduisait par cette forte pensée : « La preuve que l’homme n’est pas fait pour le travail, c’est que ça le fatigue… » Il est donc temps de m’arrêter, avant que ce billet cesse de m’amuser pour devenir un travail épuisant, à rédiger comme à lire…
Vincent du Chazaud, le 28 août 2013
[1] Né le 15 août 1893 à Châlons-sur-Marne, on fêtera les 120 ans de Pierre Dac ce 15 août 2013… pour la circonstance, « Le Magazine Littéraire » et « Marianne » consacrent un hors série (juillet-août 2013) avec un dossier de 30 pages intitulé « Pierre Dac ou le Parti d’en rire ». C’est du délire, à lire pour rire, sans part pris.
[2] Né le 1er juin 1918 (1.6.18, le nombre d’Or), Henri du Chazaud est décédé le 17 août 2013. Ce « grapilleur » de mots, comme titre un article de La Croix, a passé une grande partie de sa vie à enrichir un dictionnaire de synonymes commencé en 1970, complété depuis mais jamais complètement achevé. Son « dictionnaire de synonymes, mots de sens voisin et contraires » paru en 2007 chez Quarto Gallimard contient l’inventaire de mots le plus « riche » qui soit. En outre, il était un grand admirateur de ces deux zouaves qu’étaient Dac et Blanche, qu’il est allé rejoindre…