Oui c’est bien un billet sur le XXème siècle, non ce n’est pas un billet double « X »… et les billets simple « X » sont toujours disponibles sur demande. Ce billet n°51 a été évidemment précédé par un billet n°50, c’est une lapalissade, et ce dernier a surtout donné lieu à une « épluchette », comme disent les Québécois, qui s’est terminée au milieu de la nuit. Merci aux participants, c’était très festif et bien arrosé, et bien sûr le « Pompier » fut chanté… Que les absents, et ils étaient nombreux, ne désespèrent pas, une seconde « épluchette » est prévue pour le 100ème, mais quand ?

Pour la prochaine Biennale d’architecture de Venise, le thème proposé par Jean-Louis Cohen, architecte, historien et commissaire du Pavillon français, porte en titre : « La modernité, promesse ou menace ?» C’est à une lecture critique de la modernité depuis un siècle (1914-2014) que seront invités les visiteurs, afin de juger de la manière dont celle-ci aura façonné notre société, par son acceptation ou son rejet.

Jean-Louis Cohen, est également le commissaire d’une très pertinente exposition[1] qui comble un vide dans l’histoire de l’architecture, celui de l’activité (ou non) des architectes durant la Seconde guerre mondiale. Elle vient en écho au thème du Pavillon français de la Biennale de Venise. J’en parlerai dans le prochain billet.

Pour finir avec l’actualité, c’est un peu à cette même réflexion que nous invite une bande dessinée intitulée « Robert Moses, le maître caché de New-York »[2], sur la question de la mutation des villes, et le glissement d’un urbanisme brutal et autoritaire vers un urbanisme démocratique et écologique.

UN SIECLE DE DIVERSITÉ

L’architecture du XXème siècle a été traversée par des courants nombreux et variés, tant sur le plan constructif que stylistique, ce qui ne donne pas un panorama homogène comme pour les siècles précédents. On a pu assimiler le XIème et le XIIème siècle à l’art roman, le XIIIème siècle à l’art gothique, le XVIIème siècle au Classicisme et Louis XIV, le XVIIIème siècle à Louis XV, le XIXème siècle à l’éclectisme du Second empire… A quoi ou à qui peut-on assimiler le XXème siècle ? Il est trop tôt pour le dire, mais le Bauhaus et le Mouvement moderne auront laissé une trace importante et durable, principalement durant la deuxième moitié de ce siècle. Ce ne seront pas les seuls, et y sont également imprimés une suite non négligeable de styles et techniques, souvent issus du siècle précédent, avec dans l’ordre : l’Eclectisme du Second empire, qui se prolongera jusque dans les années « 1920 », l’Art nouveau dont quelques timides successeurs des œuvres de Guimard et de l’Ecole de Nancy continueront de construire jusqu’au seuil de la Grande guerre, l’Art déco dans les années « 1930 » avec un retour au Classicisme « à la française » qui s’exportera jusqu’aux Etats-Unis. Le Mouvement moderne, lui, prend sa source dès les années « 1920 » à l’école du Bauhaus de Walter Gropius, aux accents idéologiques et socio-politiques très révolutionnaires. Dans les années « 1950 » et « 1960 », s’y glissent d’autres mouvements comme le « Brutalisme », « l’Ossaturisme » et l’éphémère « Architecture oblique ». Tous ces mouvements novateurs idéologiquement ou techniquement seront contestés à partir des années « 1980 » par les historicistes du mouvement « Post-moderne », lui-même supplanté à la fin de ce siècle par les « Néo-modernes », les « Ecologistes », les « Technicistes » du High-tech puis du Low-tech… mais gare, on mord déjà dans le XXIème siècle. Aujourd’hui les architectes, devant ce trop-plein de possibilités qui leur sont proposées, techniques et culturelles, oscillent entre avant-garde et tradition, quand ils ne mixent pas les deux : pierre et bois associés à des matériaux nouveaux ou techniques de pointe. Les cultures constructives se multiplient et se croisent. Le métier d’architecte lui-même évolue, et la diversité des compétences requises pour bâtir n’en fait plus un artiste isolé et unique dans la conception, mais un des rouages dans ce complexe art de construire, à côté des ingénieurs et techniciens.

LE FER ET LE BETON

L’architecture du XXème siècle se caractérise par l’emploi de deux matériaux, le fer utilisé dans les dernières années de la première moitié du XIXème siècle, et le béton armé apparu dans les dernières années de la deuxième moitié du XIXème siècle. Après le quasi monopole de la pierre, du bois et de la terre, et ce depuis que l’homme a quitté les cavernes pour bâtir des abris durant cinquante siècles, l’ère industrielle inaugurée au XIXème siècle produit des matériaux sinon nouveaux, du moins utilisés à grande échelle et de manière nouvelle. L’acier permet de franchir de grandes portées, que ce soit pour les gares ou pour les ponts, dès le milieu du XIXème siècle ; le béton armé, composite de pierre concassée et d’acier, est le matériau privilégié du XXème siècle au niveau mondial, en France principalement durant la deuxième moitié de ce siècle pour la reconstruction des villes détruites (Le Havre, Lorient, Brest, Royan…), mais aussi pour la reconstruction des quartiers dévastés par les bombes (La Pallice à La Rochelle, quartier de la Gare à Angoulême). Ensuite, pour pallier au déficit de logements face à l’accroissement de population (baby-boom) et à l’exode rural (rurbanisation, villes nouvelles…), il est fait appel à l’industrialisation pour la fabrication de murs rideaux, de panneaux préfabriqués, de modèles… Les murs rideaux vont introduire un matériau déjà connu, le verre, utilisé ici en grande surface et allégeant la construction des façades ; à l’intérieur des bâtiments, les cloisons en plaques de plâtre, ou cloisons sèches, technique importée des Etats-Unis, sont fabriquées en France à partir de 1947 et contribuent aussi au délestage du bâti. On tend progressivement vers une dématérialisation de l’architecture, épurée au point que parfois celle-ci s’efface dans le paysage, comme le projet minimaliste du musée du Louvre à Lens (2008-2012) de l’agence japonaise d’architecture Sanaa.

L’ARCHITECTURE INTERNATIONALE

Il y a quatorze ans maintenant on prenait le virage du XXIème siècle, quittant sans nostalgie ce XXème siècle qui connut deux guerres mondiales destructrices et sanglantes, durant lesquelles furent inventés des armes de destruction massive, les gaz toxiques durant la première, la bombe atomique durant la seconde. Durant ce XXème siècle, la mondialisation, pas seulement guerrière mais aussi politique et économique, fera sortir de leur isolement des pays importants comme la Russie, la Chine ou le Japon, les propulsant sur le devant de la scène internationale, et en consacrera d’autres comme les Etats-Unis. Cette mondialisation touche aussi l’architecture du XXème siècle, avec ce qu’on a appelé l’architecture « internationale », on l’a vu avec l’Art déco, mais aussi avec des architectes globe-trotter, souvent forcés à s’exiler pour fuir des régimes racistes et totalitaires, comme ce fut le cas en Allemagne pour les architectes du Bauhaus, Gropius ou Mies van der Rohe. Ce brassage s’est accentué avec les grands concours internationaux, la construction du musée Beaubourg à Paris en est une illustration, faisant connaître l’architecte italien Renzo Piano qui construira par la suite sur toute la surface du globe, mais aussi le français Jean Nouvel, le catalan Ricardo Bofill, le portugais Alvaro Siza, l’anglais Norman Foster, le japonais Tadao Ando… Le Corbusier leur aura tracé la voie en construisant Chandigarh au Penjab (1950-1955), un musée d’Art occidental à Tokyo (1957-1959), le Centrosoyouz à Moscou ((1928-1933), la maison Curutchet en Argentine (1949-1953), l’Unité d’habitation de Berlin (1957-1958), le Carpenter Center for Visual Arts de Cambridge aux USA (1961-1962), et d’autres projets pour le monde entier restés dans les cartons… Ne dit-on pas que certains architectes de la reconstruction à Royan ont été influencés par les brésiliens Costa et Niemeyer ?

Vincent du Chazaud, architecte et historien

 


[1] “Architecture en uniforme, projeter et construire pour la Seconde guerre mondiale”, Cité de l’architecture et du patrimoine, du 24 avril au 8 septembre 2014.

2 “Robert Moses, le maître caché de New-York”, de Pierre Christin et Olivier Balez, éditions Glénat, Grenoble, 2014