La Cité Internationale universitaire de Paris (CIUP) est implantée dans le 14ème arrondissement. Ses trois fondateurs, André Honorat, ministre de l’Instruction publique en 1920, Paul Appell le recteur de l’Université de Paris et l’industriel et mécène Emile Deutsch de la Meurthe, ont souhaité mettre cette fondation au service de la paix, après le traumatisme de la Grande Guerre, en faisant se rencontrer des étudiants de toutes nationalités, dans un esprit d’ouverture, de partage des connaissances et d’estime. Ayant acquis un terrain sur les anciennes fortifications au sud de Paris, en face du parc Montsouris, les premiers travaux débutent en 1920, pour se continuer pratiquement sans interruption jusqu’en 1937, à la veille de la deuxième guerre mondiale. L’idéal de ses pères fondateurs aura été de courte durée, l’ère nouvelle de paix et de prospérité sera interrompue par une nouvelle guerre avec l’Allemagne, embrasant progressivement la planète entière ou presque. A la veille du conflit, si 19 pavillons sont construits, celui de l’Allemagne, pays voisin, n’existe pas. Pourtant Albert Speer, lors de l’Exposition universelle de 1937, visita la Cité internationale et s’y intéressa. La vision totalitaire et guerrière l’emporta sur l’idéal pacifiste et humaniste que souhaitaient les fondateurs de la Cité universitaire, et celle-ci, désertée, servit de caserne aux militaires allemands. Il faudra attendre 1956 pour que soit inauguré la Maison de l’Allemagne, rebaptisée Heinrich Heine en 1973, poète francophile exilé et mort à Paris au XIXème siècle.
Cette Maison de l’Allemagne, construite par l’architecte Johannes Krahn, marque la 2ème tranche de travaux, celle de l’après-guerre, qui s’achèvera avec la construction de la Maison de l’Iran inaugurée en 1969. Cette dernière est l’œuvre des architectes iraniens Mossem Foroughi et Hedar Ghiai, auxquels s’est adjoint Claude Parent. Empêtrés dans les méandres administratifs (le bâtiment de 38 mètres dépassait les hauteurs autorisées) et les difficultés techniques (un sol avec deux étages de carrières sur 22 mètres), les architectes iraniens s’adressent à André Bloc, fondateur de la revue « Architecture d’Aujourd’hui » ; il les dirigent vers Claude Parent avec lequel il vient de réaliser à Antibes une villa à structure métallique. A l’époque la structure de la Maison de l’Iran était novatrice, faite de trois portiques en acier de 38 mètres de haut auxquels sont suspendus les blocs d’habitation. Aujourd’hui désaffectée, la Fondation Avicenne est un signal sur le périphérique et sert de support publicitaire. Le rez-de-chaussée est occupé par L/OBLIQUE, espace de médiation dédié à la présentation de la CIUP, de son histoire et de son architecture, mais aussi de son avenir et de son développement. Une 3ème tranche de construction est aujourd’hui lancée en même temps que d’importants travaux de réhabilitation ou d’extension des Maisons, permettant d’améliorer l’accueil des étudiants[1].
Durant les deux premières tranches de travaux[2], étalées sur près de cinquante années entre 1920 et 1969, des architectes ont œuvré dans l’une et l’autre période. Ce fut le cas de Le Corbusier, mais aussi de Lucien Bechmann, qui a été dès l’origine l’un des principaux aménageurs du site, dont les contours sont restés flous jusqu’à la réalisation du boulevard périphérique en 1960 en fixant définitivement la limite dans sa partie sud. Bechmann fut également l’architecte de plusieurs Maisons, dont la première la Fondation Deutsch de la Meurthe, construite en 1925 sur un modèle de cité jardin anglo-saxonne. Avec l’architecte américain Larson, qui lui fut imposé par Rockefeller mécène de la Maison internationale, il œuvra à cette dernière inaugurée en 1936. Dessinée sur le modèle d’un château français de l’époque classique, les détails architectoniques artisanaux ont laissé place à une construction rationnelle et industrielle, elle-même invisible derrière la pierre et la brique des façades. Plus tard, et montrant là une capacité d’adaptation aux idées et techniques nouvelles, il dessine la Fondation Victor Lyon inaugurée en 1950, introduisant dans son architecture un vocabulaire moderne au style dépouillé, loin de ses premières œuvres. Le travail de Bechmann symbolise l’éclectisme des œuvres architecturales qui jonchent ce site, ce qui n’est pas étonnant car aujourd’hui sa création remonte à presque un siècle, 95 ans exactement.
Fondation Deutsch de la Meurthe. Photo Bruno Trocque, juin 2015
Il n’en va pas cependant de même avec les bâtiments de Le Corbusier, dont plus de 25 années séparent l’inauguration de la Fondation Suisse (1933) de celle de la Maison du Brésil (1959). L’architecte fait preuve ici d’une remarquable continuité dans les principes d’une architecture moderne qu’il énonçait dès les années 1920.
Fondation Suisse. Photo Bruno Trocque, juin 2015
Pour cette « machine à habiter » qu’est la Fondation Suisse, à laquelle est associé son cousin Pierre Jeanneret, Le Corbusier expérimente ici pour l’habitation collective les cinq points de l’architecture moderne : plan libre, pilotis, fenêtres en longueur, toiture-terrasse, façade libre. Mis en œuvre peu auparavant pour l’habitation individuelle avec la villa Savoye (1928-1931), cette application au logement collectif avec la Fondation Suisse en 1933 verra un prolongement avec les Unités d’habitations conformes, dont la première sera la Cité radieuse de Marseille construite entre 1947 et 1952. Pour la Fondation Suisse, Le Corbusier confia l’ameublement des chambres à Charlotte Perriand, comme plus tard pour la Maison du Brésil (avec également du mobilier de Jean Prouvé) et celle de la Tunisie (1953, architecte Jean Sebag, avec également du mobilier de Jean Prouvé, Alain Richard, Marcel Gascoin et Pierre Faucheux). La Fondation Suisse a été inscrite à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1986.
Maison du Brésil. Photo Bruno Trocque, juin 2015
La Maison du Brésil a d’abord été confiée à l’architecte brésilien Lucio Costa, mais celui-ci s’est effacé devant le projet de Le Corbusier. Inaugurée en 1959, abandonnée sous la dictature des généraux, elle a fait l’objet entre 1999 et 2000 d’une importante rénovation sous la conduite des architectes Hubert Rio et Bernard Bauchet. Leur travail a permis d’aborder les problématiques de la restauration d’un bâtiment du XXème siècle, inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1985. Nous sommes en 2015, année du cinquantenaire de la mort de Le Corbusier, aussi la sortie annuelle de la CEACAP à la CIUP a revêtu une forme de commémoration de ce cinquantenaire. Agité par les polémiques autour de ses fréquentations Avant-guerre, celles-ci pourraient jouer en défaveur de la troisième candidature de son œuvre devant l’UNESCO pour être inscrite au patrimoine de l’humanité.
Vincent du Chazaud
Juillet 2015
[1] La Maison de l’Inde, inaugurée en 1968, a été augmentée en 2013 d’une aile dessinée par les architectes Lipsky et Rollet.
[2] Parmi quelques bâtiments remarquables, on peut citer la Maison du Japon, inaugurée en 1929, non pas pour son architecture due à l’architecte Pierre Sardou, mais pour son hall orné de deux belles peintures murales œuvres du peintre Foujita, « L’arrivée des Occidentaux au Japon » et « Les chevaux ». La Maison du Maroc de l’architecte Albert Laprade est inaugurée en 1953. Elle a fait l’objet d’une restauration importante des céramiques menée par André Paccard, avec l’aide d’artisans marocains. Enfin, le Collège néerlandais inauguré en 1938, seule œuvre en France de l ‘architecte Willem Marinus Dudok, un des chefs de file du mouvement De Stijl fondé en 1917 par un groupe d’architectes et d’artistes hollandais (Piet Mondrian, Pieter Oud) et présidé par Théo van Doesburg (1883-1931). De Stijl, tout d’abord le nom d’une revue, annonce le Mouvement Moderne des années 1920. Le Collège néerlandais a été classé au titre des monuments historiques en mars 2005.