Billet n°80- ROLAND SIMOUNET (1927-1996)
Avec mamie et des amis, nous étions dans le nord mi-novembre… en deux jours, nous avons eu le premier des bourrasques de neige, pour le second un soleil radieux.
Au musée de Villeneuve d’Asq, à l’entrée de Lille, on oublierait presque les œuvres exposées, tant on est « comme chez soi » dans cet espace. Ou plutôt, à moins d’être celui-là, on est comme dans le salon d’un ami collectionneur d’art. Sans ostentation aucune, Roland Simounet nous met dans de bonnes dispositions, de corps et d’esprit, et nous invite tour à tour à déambuler, à monter, à descendre, épier la lumière descendre savamment sur une œuvre ou jeter un regard sur l’extérieur. Quand enfin un tableau accroche le regard du visiteur, l’œil de ce dernier est exercé, reposé, disponible pour ausculter l’œuvre ; les peintures de Poliakoff par exemple, si profondes et mystérieuses, s’éclairent soudain d’une lumière que seul un esprit libéré de toutes les pesanteurs du temps peut ressentir. Il en sera de même pour toutes les salles de ce musée de Roland Simounet inauguré en 1983, exposant des œuvres d’art moderne et contemporain, puis on glisse dans un espace exposant plus resserré, haut de plafond, sombre et froid (peut-être le chauffage ne fonctionnait-il pas dans ces salles ?), où heureusement les œuvres d’art brut pallient au manque d’inventivité des lieux : nous sommes passés dans l’extension du musée, due « au geste architectural » de Manuelle Gautrand, lauréate d’un concours international en 2002, dont le bâtiment est inauguré en 2010. Le cliquètement de la lumière d’un moucharabieh n’est pas propice à la présentation d’une œuvre, et la lumière du nord ne s’y prête pas, si bien que les salles sont inondées de lumière électrique, à la différence des salles de Simounet où la lumière naturelle est rasante, tombante, diffuse ou pleine sur les œuvres : l’homme du sud a compris le climat du nord, l’emploi de ses matériaux, il n’importe pas des clichés de ses origines. Curieuse opposition dans la façon de faire de ces deux architectes… et de leur architecture. Roland Simounet, né en Algérie en 1927[1], a construit dans le nord une architecture sensible à ces deux pôles sensés être opposés, réunissant ce qu’on appelle communément, et trop hâtivement, des contraires quand ils seraient plutôt des complémentaires.
Déjà en 1953, lors du CIAM d’Aix-en-Provence, Simounet, jeune architecte de 26 ans, avait cherché en quoi les principes du Mouvement moderne, et les recherches de Le Corbusier sur le Modulor, pouvaient se reconnaître dans l’art de vivre du Maghreb, et notamment celui « de vivre tout court » des populations pauvres du bidonville de Mahieddine à Alger. Ce IXème congrès du CIAM avait pour thème « La charte de l’habitat », s’y distingueront ceux que l’on appellera « l’école d’Alger », avec outre Roland Simounet, Louis Miquel, Pierre-André Emery, Jean de Maisonseul et Jean-Pierre Faure. Avec l’équipe d’ATBAT de Casablanca, ils vont marquer les esprits et imposer une dimension humaine et sociale aux théories parfois trop réductrices et dogmatiques du Mouvement moderne. L’homme, mais également son milieu, site et climat, sa culture, art et société, sont des données qui viennent enrichir l’urbanisme et l’architecture. Le Corbusier les prend en compte quand il conçoit dans ce même temps la ville de Chandigarh.
Un an plus tard, en 1954, commence la reconstruction d’Orléansville, détruite par un tremblement de terre. Jean Bossu, qui en sera l’architecte en chef, y développera cette sensibilité au « sol », sans renoncer aux acquis du modernisme. Se débarrassant de « sa carapace d’architecte occidental », il fera œuvre d’une « architecture décolonisée »[2]. Simounet, avec Louis Miquel, va y réaliser le Centre culturel Albert Camus (1955-1960), condensé d’architecture sobre, suffisante, insérée au site comme il le fit pour la Cité de transit de Djenan-el-Hasnan. Pétris des cinq thèmes de l’architecture moderne prônés par Le Corbusier, Simounet et Miquel nous emmènent nous promener dans leurs architectures, dans leurs musées, que ce soit à Villeneuve d’Asq pour le premier, à Besançon pour le second, ou ensemble dans leur pays natal, l’Algérie, avec le Centre Albert Camus. Ce bâtiment en voiles de béton résistera au tremblement de terre de 1980 à nouveau destructeur, notamment pour le quartier Saint Réparatus de Jean Bossu entièrement effondré.
Pour Djenan-el-Hasnan, Simounet se souvient du projet « Roq » de Le Corbusier pour Roquebrune Cap-martin, construction en gradin épousant la forte pente du terrain. Mais il s’est surtout souvenu de ses recherches menées sur le bidonville de Mahieddine à Alger, dont les planches étaient présentées au CIAM de 1953. Ce travail pour loger le « plus grand nombre », aider les plus démunis, fondera ses premiers pas d’architectes en Algérie, et le suivra toute sa vie pour le meilleur de son œuvre. En Algérie d’autres projets suivront, seul (agglomération de Timgad, maisons des pêcheurs de Tipasa), ou associé aux architectes Daure et Béri (logements de Carrières Jaubert à Bab-el-Oued). « L’architecture est avant tout une attention aux hommes » rappelait-il. Daniel Treiber raconte que dans son bureau parisien, Simounet lui avait montré « avec une intensité et une excitation qui tranchaient avec son calme habituel fait de réserve et de vie intérieure, sa photo « la petite Victoire », jeune habitante de Djenan-el-Hassan perchée comme une divinité grecque sur la toiture en gradins, en guise de promontoire ». Dans sa monographie, Roland Simounet avait légendé cette photo ainsi : « 1958. Mes pensées vont souvent vers toi, petite « Victoire » de Djenan-el-Hassan, fille d’Alger, femme de mon pays ».
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En 1962, Roland Simounet quitte l’Algérie, son pays natal, dans lequel il s’attachait à croire que les injustices de la colonisation seraient enfin réparées, comme Camus, de Maisonseul et d’autres. Il n’en a rien été, ou plutôt ces tentatives, comme celles du maire d’Alger Jacques Chevalier avec les programmes réalisés par Pouillon, sont arrivées trop tard, la révolte était ancrée dans les têtes et les corps meurtris. Pour cette deuxième vie, Roland Simounet s’installe à Paris où il avait été appelé dès 1960 pour un projet de 700 logements destinés aux plus démunis à Noisy-le-Grand. Il réalise un important projet de résidence universitaire à Tananarive (1962-1971), et d’importants programmes de logements en région parisienne et en Alsace, puis un ensemble de maisons de vacances à Ghisonnaccia en Corse (1969-1971) qui le remettent en lumière, par la force, la rigueur et la simplicité des constructions. Tous les projets de Roland Simounet sont préparés par des croquis d’une grande précision, accompagnés de détails où tout est annoté, mesuré, coté, ; le matériau, si petit, si humble, si fruste soit-il, dicte la dimension de l’œuvre, c’est la revanche des petits… Dans un excellent ouvrage collectif en hommage à Roland Simounet[3], Christian Devillers intitule sa contribution « L’architecture à la main ». Cette main de l’homme, de l’architecte, dessine le détail sur un carnet de croquis, que la main d’un autre homme, le maçon, va concrétiser en bâtissant les maisons comme celles de Ghisonnaccia en Corse. Roland Simounet remplira plus de deux cents carnets retraçant en dix mille pages trente cinq années de sa vie.
« Sur nos propylées et nos entablements,
sur nos arcs pérennes et
nos prodigieuses coupoles ; sur
nos voûtes archaïques ; dans la
rigueur des cloîtres ; sur les quoubbas
de notre Maghreb, dans le creux
de nos patios, sur les ressauts de
nos terrasses retrouvées.
Sur nos murs pleins où la seule
gravure dans un enduit chaulé,
marque la mémoire.
Et sur les bas-reliefs de tous les
temps. »[4]
[1] Descendant d’une lignée fondée par son trisaïeul, pharmacien de Bergerac, débarqué à Alger dès 1830
[2] DOUSSON Xavier, « Jean Bossu, une trajectoire moderne singulière », Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, Paris, 2014
[3] « Roland Simounet à l’œuvre, architecture 1951-1996 », ouvrage collectif sous la direction de Richard Klein, Edition Musée d’art moderne Lille Métropole, Villeneuve d’Asq et Institut français d’architecture, 2000. Ce livre fait le pendant d’un autre ouvrage publié un an après sa mort en 1997 par le Moniteur, « Roland Simounet, d’une architecture juste, 1951-1996 »
[4] Poème en prose de Roland Simounet publié dans la revue Poïesis en 1995