Billet n°87 – DU DROIT D’AUTEUR
Dans ces affaires de droit d’auteur, si les architectes-concepteurs peuvent sembler indifférents et les architectes-rénovateurs sans scrupules, les maîtres d’ouvrage ne sont pas exempts de tout reproche. Ils laissent leur patrimoine aller à vau-l’eau, puis le détruisent, comme la ville de Royan avec le casino de Ferret, ou le donnent à réhabiliter à des architectes discourtois, comme la SCIC confiant à Roland Castro la réhabilitation des logements « La Caravelle » de Jean Dubuisson[1]. Les maîtres d’ouvrage agissent parfois avec désinvolture et parfois du mépris pour l’auteur, mais savent aussi s’entourer de garanties tant ces questions de droit d’auteur restent dans le flou. Ainsi pour le projet du Centre national de la danse à Pantin dans l’ancien Centre administratif de Jacques Kalisz, le maître d’ouvrage, le ministère de la Culture, a inséré le texte suivant dans l’appel à candidature : « Le futur marché de maîtrise d’œuvre comportera une clause au terme de laquelle le maître d’œuvre devra apporter toute garantie au maître de l’ouvrage contre tout recours du concepteur initial du bâtiment au titre du droit moral d’auteur… »[2]
Dans un pays où la sensibilisation à l’architecture en est à ses balbutiements, les élus n’échappent pas, parfois, à la règle de cette misère culturelle généralisée. Relayées par les lenteurs administratives, leurs décisions peuvent être irrémédiables pour l’héritage architectural récent. Ce sont souvent des associations bénévoles et opportunes qui permettent des sauvetages hâtifs. Il en fut ainsi pour la maison Hennebique à Sceaux, pour la maison de verre de Pierre Chareau à Paris, pour la villa Jaoul de Le Corbusier à Neuilly, pour la maison Cavroix de Mallet-Stevens à Croix près de Lille, toutes sauvées in-extremis du vandalisme et de l’ignorance par des actions privées. La maison Girard de Pierre Sirvin construite au Plessis-Robinson au début des années soixante-dix n’eut pas cette chance, malgré la mobilisation de quelques personnalités (Bernard Rocher, Joseph Belmont, Anne-José Arlot, Pierre Prunet, Claude Vasconi…), ainsi que l’alerte en direction du CAUE, du SDAP et du ministère de la Culture[3]. Peu après avoir tiré le signal d’alarme, la revue d’Architectures constatait la destruction de la maison Girard, suite à un remaniement du POS par la municipalité de Plessis-Robinson, aiguisant la convoitise de promoteurs peu scrupuleux.[4] Parfois c’est un peu hâtivement que des pétitions sont lancées sur les réseaux sociaux ou dans la presse, faisant appel à la sensibilité de certaines personnalités mal informées mais promptes à se laisser médiatiser par cet intermédiaire. Il en fut ainsi pour l’école du Gond-Pontouvre en Charente, dont l’histoire « édifiante » sera contée dans un prochain billet.
Si quelques rares architectes ont eu le privilège de voir certaines de leurs œuvres consacrées de leur vivant, si l’on considère qu’un bâtiment classé Monument historique est une des distinctions les plus prestigieuses qui soit, d’autres ont connu l’infamante dégradation de leur œuvre jusqu’à leur destruction : pour le créateur qui a mis beaucoup d’affectivité à la réalisation de son projet, le coup est rude. La question se pose du rôle que la société souhaite voir jouer par l’architecte. L’école le forme à devenir un « artiste » indépendant, pouvant jouer de toute sa fibre sensible. Ces « architectes-artistes » propulsés dans le métier verront bientôt leur « art » battu en brèche par les réalités économiques et sociales, le tout parachevé par le système des concours ne permettant qu’aux plus talentueux, ou aux plus habiles, d’émerger et d’être propulsés sur le devant de la scène, refoulant les autres. Et quand ceux-ci ont la « chance » de pouvoir construire, parfois leur « œuvre » s’écroule sous leurs yeux, de leur vivant… Quel artiste y survivrait ?
Vincent du Chazaud
[1] « Villeneuve-la-Garenne : doit-on casser la Caravelle ? », d’Architectures n°72, janvier/février 1997.
[2] « Un auteur en colère », propos de Jacques Kalisz recueillis par Pascale Blin, d’Architectures n°93, mai 1999.
[3] Desmoulins C. « Pourquoi détruire la maison Girard », d’Architectures n°38, septembre 1993.
[4] d’Architectures n°39, novembre 1993.