Expert

Rappelons ce que nous avons écrit en exergue dans la première fiche :

“Du latin “EXPERTUS” éprouvé, qui a fait ses preuves (TACITE) “EXPERTISSIMUS” (SUETONE).

En droit : “personne choisie pour ses connaissances techniques et chargée de faire, en vue d'une solution judiciaire, des constatations, des examens, des appréciations de fait.”

Les experts judiciaires sont inscrits sur des listes établies par les Cours d'Appel. Certains, de réputation nationale, sont agréés par la Cour de Cassation. Enfin, les tribunaux administratifs ont leur propre liste. L'expertise n'est pas un métier mais une fonction.

Mais l’auteur de la présente fiche doit s’incliner devant l’avis d'un Maître de la Langue française, publié en 1997 dans le FIGARO :

Le bon français

Expérience-Expertise

Le premier qui, prenant un mot pour un autre, écrivit expertise au lieu d’expérience, pour parler des connaissances spécialisées ou de la compétence de quelqu’un, celui-là a fait tristement école. Cette sorte de bévue se répand dans le langage comme le chiendent dans les champs.

On rencontre de plus en plus, dans les travaux des étudiants et même des maîtres de l’université, dans les articles des journalistes, et dans la bouche des commentateurs del’audiovisuel, ce terme d'expertise employé à contresens comme si c'était là une élégance.

PAR MAURICE DRUON, de l’Académie Française.

Il y a dans le Dictionnaire une colonne et demie de définitions du mot expérience dans toutes les acceptions qu’il peut recevoir, et d'abord : Le fait d'acquérir, d'étendre ou d'enrichir une connaissance, un savoir, un savoir-faire par l'usage et la pratique.

La définition d'expertise, terme d'origine juridique, tient en seize lignes et n'admet que deux sens :

1. Procédure qui consiste à requérir l'avis d'un ou plusieurs experts.

2. Examen, estimation par un expert, à l'occasion d'un accident, d'un litige.

On ne dira donc pas «Sa grande expertise en pédagogie», mais «Sa grande expérience de la pédagogie».

L'Académie a d’ailleurs pris soin (Dictionnaire 9e édition - Documents administratifs du Journal officiel - 20 octobre 1993. Éternel à Exploit) d'introduire cette remarque normative :

«Est à bannir : Expertise, employé absolument dans le sens de compétence, savoir-faire, qualité d'une personne experte.

Avons-nous été assez clairs?


PETITE NOTICE SUCCINCTE D'UTILISATION DE L'EXPERT JUDICIAIRE (ARCHITECTE)A L'USAGE DES AVOCATS


Félicitations ! Vous venez “d'hériter” d'un Expert Judiciaire par décision du Tribunal. Afin qu'il vous donne satisfaction pendant de longues années (durée moyenne d'une expertise ordinaire), nous vous invitons à prendre connaissance de la présente note, destinée à vous en faciliter le maniement.

L'Expert se présente généralement comme un humanoïde déjà d'un certain âge, les tempes au mieux grisonnantes, il pourra vous sembler avoir beaucoup servi : ce peut être un gage “d'expérience” plutôt rassurant. Le reste de son apparence physique ne le distingue guère de ses congénères de la race humaine, à part quelques appendices supplémentaires apparaissant lors des réunions tels que : humitest, couteau suisse, appareil photo, jumelles, qui font partie quasi intégrante de sa personnalité à ces moments là.

Pour son bon fonctionnement, pas besoin de piles. Mais de votre comportement avec lui dépendra son efficacité. Il vous faudra donc modifier quelque peu vos habitudes.

REGLE N° 1 : L'Expert est désastreusement imperméable à “tout effet de manche”. Exemple : vous partez dans une magnifique péroraison évoquant le triste sort de vos clients victimes d'une bonne trentaine de malfaçons dans leur petit pavillon construit “avec des copains”, vous évoquez la déprime du propriétaire, l'accouchement très prochain de sa femme (qui attend de surcroît des jumeaux - les jumeaux ça fait encore plus triste !?), les traites à payer, le psy (pour la déprime du propriétaire) à payer aussi, les huissiers qui menacent…. Vous serez interrompu dans cette triste énumération qui arracherait des larmes au plus insensible des crocodiles par un ” Vous avez le Marché ? Et Les factures ? Les devis de réparation demandés depuis la 1ère note aux Parties ? “. C'est désolant, mais c'est ainsi.

REGLE N° 2 : L'Expert est obnubilé par sa Mission. Vous aurez du mal à l'en faire sortir. S'il a été nommé pour un dégât des eaux, inutile d'essayer de lui faire constater le mauvais état du mur séparatif “que-le-voisin-refuse-d'entretenir-alors-qu'il-en-a-la-charge-exclusive”.

REGLE N°3 : Relisez bien ce que votre secrétaire transcrit dans les Dires : les préjudices allégués pour un bâtiment mal construit en “téton armé” ne seront pas mieux pris en comptes que s'il est en béton. Si l'Expert vous demande des devis d'entreprises qualifiées, ne transformez pas sa demande en lui envoyant un devis d'une entreprise que vous garantissez sérieuse. Sachez qu'il existe des etses qualifiées qui ne manquent pas d'humour, d'autres dites sérieuses qui ne sont pas pour autant qualifiées. D'accord c'est un peu compliqué, mais il faudra là aussi vous habituer!

REGLE N° 4 : Petit conseil vestimentaire : évitez les talons aiguilles, la jupe droite bien ajustée, les collants fins ; sinon vous risquez de le regretter en pataugeant dans la gadoue d'un chantier jamais terminé, ou pendant l'escalade d'une échelle de meunier pour atteindre la toiture - contradictoire oblige. (Ce point concerne a priori essentiellement Mesdames les avocates).

REGLE N° 5 : Pendant les réunions, ayez l'air intéressé de ce qui se dit. Même si vous n'y comprenez rien, n'hésitez pas à vous pencher sur la baignoire fuyarde, le carrelage fêlé etc. Attendez la fin de la réunion pour échanger avec vos confrères, les derniers potins circulant dans les couloirs des tribunaux. L'Expert peut être susceptible, alors dans l'intérêt de vos clients, méfiez-vous.

DERNIER POINT DE CETTE LISTE NON EXHAUSTIVE : L'Expert a, il faut le reconnaître, un inconvénient : son prix. Contrairement à beaucoup d'idées reçues dans l'ensemble des Barreaux, ce n'est pas un philanthrope et pour exercer ses “talents”, il a un impérieux besoin de manger. Et pour peu qu'il se soit reproduit, c'est carrément de toute une famille dont il a la charge. Or son boucher, son boulanger et autres fournisseurs n'échangent leurs précieuses denrées que contre des espèces sonnantes et trébuchantes -autrement dit chez nous : des euros. Difficile à croire, mais il vaut mieux que vous soyez prévenus.

CONCLUSION : Cette note, forcément réductrice ne prétend pas vous donner le mode d'emploi complet de l'Expert, les bibliothèques sont remplies d'ouvrages traitant ce sujet délicat. Il s'agit simplement de quelques points de base destinés à vous aider à comprendre un mécanisme un peu particulier que vous n'avez pas obligatoirement l'occasion de côtoyer fréquemment et d'en éviter quelques pièges élémentaires.

Bon courage !