Monsieur le Chef du département de l’action culturelle et éducative / Conservateur du musée des Archives nationales,

Monsieur le Conseiller d’État, Président de la Cour administrative d’appel de PARIS,

Madame la Présidente du tribunal administratif de PARIS,

Monsieur le Premier Président honoraire de la Cour d’appel de VERSAILLES,

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les Magistrats,

Mesdames et Messieurs les Avocats,

Mesdames et Messieurs,

Mes chères consœurs,

Mes chers confrères,

 

Ce n’est pas sans une certaine émotion que je prends la parole aujourd’hui pour vous accueillir aux Archives nationales, dans ces salons de l’Hôtel de Soubise. En effet, certains le savent sans doute, un nouveau président prendra bientôt les rênes de notre Compagnie. Et c’est donc la dernière fois que j’ai le plaisir de m’adresser à vous.

 La tentation est grande de brosser un bilan de ces six années pendant lesquelles j’ai présidé la Compagnie.

 Vous savez ce qui a été accompli, les avancées que nous avons effectuées et dont je vous ai chaque année tenu informés : le tutorat des nouveaux experts ; les cycles de formation ; l’encyclopédie en ligne ; l’annuaire interactif sur les disponibilités ; les critères d’analyse des candidatures d’experts ; les documents modèles toujours enrichis ; la certification qualité ISO 9001 ; la nouvelle plate-forme collaborative dématérialisée ; la newsletter ; la mise en œuvre de la norme NFX 50-110…

Avec toujours en toile de fond, l’objectif de parfaire l’expertise pour mieux servir la justice. Mais un bilan est souvent assommant et loin de moi l’idée de vouloir vous infliger un tel pensum.

Ce n’est pas l’envie qui me manque également d’évoquer les riches heures qui ont marqué ce lieu prestigieux, quartier général de la «  Sainte Union » – ainsi que je l’ai déjà dit la fois dernière – où fut décidée en 1572 la Saint BARTHELEMY, traumatisme à la suite duquel la fonction d’expert fut institutionnalisée pour favoriser la paix sociale et maintenir l’unité de l’état, dans un édit du dernier des Valois, Henri III ; ou encore de rappeler ces moments fondateurs de notre histoire commune, dont les Archives nationales conservent la mémoire.

 Mais ce n’est pas non plus l’exercice auquel je vais me prêter. Se tourner vers le passé, vers l’histoire, n’a d’intérêt, n’a de sens que si ce regard en arrière sert à construire l’avenir. Au regard du chemin parcouru, et paradoxalement en ce lieu qui nous invite au souvenir, c’est de l’avenir que je souhaite vous entretenir. Notre avenir, quel sera-t-il ? À quoi ressemblera donc notre futur ?

Il sera bien sûr très différent d’aujourd’hui.

 Allons-nous vers une nouvelle révolution industrielle, résultat de la convergence de nouveaux moyens de communication et des nouveaux moyens énergétiques comme le prophétise Jérémy RIFKIN ?

Cet économiste développe la thèse selon laquelle un nouveau paradigme économique va ouvrir l’ère post-carbone. Il fonde sa réflexion notamment sur l’observation que les grandes révolutions économiques ont lieu lorsque de nouvelles technologies de communication apparaissent en même temps que de nouveaux systèmes énergétiques (hier l’imprimerie, le charbon ou l’ordinateur ; aujourd’hui internet et les énergies renouvelables). Je n’en sais rien. Mais ce qui est certain, ce qui arrive, et très vite, c’est que chacun pourra en effet générer sa propre énergie verte, grâce au développement des « smart grids » qui est en cours, c’est une réalité dont nous devons être conscients. Des millions de petites entités produiront et partageront bientôt l’énergie comme on produit et partage déjà l’information sur internet. Parallèlement, la numérisation de la société a commencé. Ici, maintenant, nous sommes déjà connectés, pour la plupart d’entre nous. Nous allons vers ce que l’on appelle « l’internet des objets », un monde où TOUT sera connecté. Le sol, les tables, les bouteilles de cette salle seront connectés, cela nous permettra de savoir combien il y a des personnes présentes, combien de temps elles restent, combien de bouteilles sont pleines, combien de bouteilles sont vides, quand la lumière doit s’éteindre…

Bien sûr, les objets connectés créeront de l’information. Il y a déjà aujourd’hui une explosion de l’information. Vous le savez peut-être, il y a eu plus de données créées au cours des deux dernières années que durant tout le reste de l’histoire de l’humanité. Dans ce monde hyperconnecté, les nouvelles technologies de l’information vont accélérer de manière insoupçonnée la vitesse des process, et le déploiement d’idées innovantes se fera à une vitesse sans commune mesure avec les méthodes traditionnelles. Quel nouvel ordre va créer internet et la numérisation du monde ?

D’aucuns annoncent que, portés par les possibilités qui nous seront offertes, nous allons passer d’une société de consommateurs à une société de producteurs. À chacun de prendre en main son destin, donc, dans un monde où le web aura fait exploser la verticalité. Cette révolution qui est en marche avec le cloud, l’open source, les smartphones et autres tablettes … nous donnera l’opportunité d’être créatif, d’augmenter notre activité et de nous différencier dans une société qui sera plus ouverte, moins statique. Pas plus tard que ce matin encore, je découvrais dans la presse qu’à partir du 1er décembre nous pourrions établir les constats amiables en cas d’accident de voiture, in situ, avec notre Smartphone,… en signant avec le doigt. Et l’expert dans tout cela ?

 Pour ne pas se laisser emporter par le tourbillon de la mondialisation, l’expert doit se réinventer, s’approprier ce nouvel environnement, les technologies innovantes. Il doit être un acteur des réformes et non un spectateur qui confie son avenir à des tiers qui le plus souvent ne savent pas de quoi ils parlent. Il s’agit pour lui de ne pas se laisser dépasser par la technologie, et d’innover sans cesse pour créer de la plus-value et de la richesse. « L’expertus numericus » est en marche.

C’est inexorable.

Et c’est – modestement – l’orientation que nous avons prise en ouvrant nos deux derniers chantiers : la plate-forme de dématérialisation et la réflexion sur la norme NFX 50/110. La dématérialisation, c’est, à notre niveau, l’innovation au service de la simplification administrative, de la compétitivité et de la productivité. Les experts architectes s’inscrivent dans la continuité de leur formation qui est de concevoir, construire et administrer, en conséquence de quoi un cahier des charges a été établi, une réflexion menée, une plate-forme conçue et mise en œuvre. Elle n’a que deux défauts aux yeux de certains, elle fonctionne et elle ne coûte presque rien. Elle est aujourd’hui opérationnelle, utilisée par plus de 1000 usagers, experts, avocats, parties… Elle est d’une grande simplicité, ne nécessite aucun outil spécifique, aucune formation, et encore moins une formation payante. Parce qu’il faut réduire les coûts, il n’y a aucune raison de se soumettre aux marchands de dématérialisation qui – en France – rêvent d’être institutionnalisés, pour se constituer un gâteau en faisant payer l’utilisateur captif en fonction des volumes échangés, ceci en n’apportant aucune plus-value. C’est aussi notre devoir que l’expertise ne soit pas réservée aux plus nantis.

 Ne comptez pas sur moi pour dire que les taux horaires des experts sont élevés ; ils sont les mêmes que ceux de mon garagiste. En revanche, la dématérialisation est une solution pour ne pas les gonfler. Notre plate-forme de dématérialisation ne revient par expertise qu’à un peu plus de deux timbres de 20 g par mois, et elle permet d’économiser jusqu’à 70% sur les frais d’expertise.

Et parce que nous sommes dans la transversalité, que les frontières s’effacent, elle est ouverte à tous ceux qui le veulent. Elle permet un gain de temps, un gain de productivité, une plus grande efficacité, elle réduit les tâches répétitives et sans valeur ajoutée, pour permettre à l’expert de se concentrer sur son cœur d’activité, de se différencier et d’ajouter ainsi de la valeur à sa prestation. Mais ces mutations, sachons-le, auront pour corollaire de modifier la façon dont nous travaillons et pensons la réalité.

C’est d’ailleurs d’une certaine manière ce qu’évoque Régis DEBRAY lorsqu’il affirme que l’invention de l’écriture alphabétique jointe à un codex partagé – la Bible – aurait été la condition de naissance de Dieu comme universel ; ou que l’imprimerie aurait créé l’École, la République, la laïcité. Pour lui, le messager conditionne le message. Et le messager crée un ordre nouveau. Les innovations techniques ont un impact sur notre culture et nos comportements, la technologie de la transmission d’informations détermine le sacré, implique des changements de croyances et donc d’organisation sociale. La mise en œuvre de la norme NFX 50/110 prend en compte cette réflexion, le message et le messager, pour contribuer à notre objectif qui est de valoriser le savoir-faire de l’expert.

 Parce que la déontologie ne suffit pas.

Parce que le savoir ne suffit pas.

Parce qu’il y a deux façons d’aborder un sujet :

– soit de façon religieuse, avec ses croyances. C’est l’expert qui sait.

– soit de façon laïque. C’est l’expert qui comprend et qui pour cela s’inscrit sur une trajectoire partagée, s’intéresse aux process cognitifs, aux fonctions de perception, de langage, de mémoire, de raisonnement, de décision… qui concourent à l’élaboration du rapport d’expertise.

 Avec la NFX 50/110, nous engageons une réflexion critique sur les techniques, le langage, les concepts fondamentaux propres à l’expertise, pour élaborer une méthodologie qui permette de valider l’origine logique, la valeur et la portée objective d’un avis donné, qui de ce fait est accepté de tous. L’idée, c’est de faire de la haute couture en toute circonstance, et non de la quantité, du basique, du répétitif, car dans ce cas ce sont les seuls intérêts marchands qui finalement fixeraient les règles du jeu. Sachons en effet que plus le temps passe plus les informations seront élargies à tous, et que dans le futur le problème fondamental à résoudre ne sera pas l’accès à cette information, mais notre capacité à la traiter qualitativement. Que les experts sachent saisir cette liberté qui leur est offerte, et qui est adossée à la liberté et à l’indépendance du juge. Vouloir être plus fort, plus pertinent, avoir cette conviction que nous devons nous élever, cela nécessite de s’inscrire dans un combat. Bien sûr c’est un travail toujours recommencé. L’important est de pouvoir se regarder devant le miroir et de pouvoir dire comme « le colibri »… j’ai fait ma part.

 Quant à moi, j’ai la conviction que la CEACAP va continuer d’être une Compagnie disruptive et audacieuse, visionnaire et révolutionnaire, innovante, souveraine et non inféodée.

 L’idée d’un laboratoire est lancée. Pourquoi ne pas imaginer un incubateur expertal pour produire des idées originales, un mooc, une boutique d’expert destinée aux justiciables, la création d’un algorithme prédictif reposant sur l’analyse des données disponibles sur le web…

 Vous le voyez, la CEACAP ne manque ni de projets ni de vision.

 Chers invités…

 Je sais par expérience que les idées émanent de petites structures, de petits groupes d’hommes devrais-je plutôt dire, qui s’investissent, s’impliquent, se passionnent. Je tiens donc particulièrement, pour conclure, à saluer et remercier tous ceux qui m’ont accompagné au cours de ces six années. La vie est faite de belles rencontres. Dans le cadre de ma présidence, j’en ai fait de nombreuses. C’est donc maintenant avec un grand plaisir que je vous invite à partager quelques nourritures un peu moins spirituelles, mais tout aussi réconfortantes.

Je vous remercie, et… vive la Compagnie.