Quand j’entends ou vois le chiffre « 24 », tout de suite je pense à la Dordogne. Attaches fortes et inconscientes à ma région d’origine ? Ce billet, le 24ème maintenant depuis le premier qui remonte à bientôt deux ans, parlera donc de Dordogne et d’Argentine en même temps. Argentine, il ne s’agit pas de ce grand pays d’Amérique du sud de 40 millions d’habitants, mais d’une petite bourgade de quatre habitants, six en comptant une résidence secondaire, située aux confins nord de la Dordogne, à la lisière avec le Département de la Charente.
C’est un « bout du monde » auquel on accède par une petite route arpentant un plateau calcaire et finissant là sa course. Cet « Ushuaïa » périgourdin possède des trésors, certains gardés jalousement secrets, des anciennes carrières de pierres taillées comme des cathédrales et devenues champignonnières, des grottes à flanc de rocher surplombant la vallée de la Nizonne abritant Cluzeaux (réserves à grains creusées dans le rocher au Moyen-âge), pigeonnier et nécropole souterraine, des orchidées sauvages calcicoles ponctuant de mauve au printemps son plateau au milieu de sarcophages, une faune abondante car peu dérangée, une ancienne voie ferrée creusée dans la roche et abandonnée dans les années 50, et même un petit aérodrome d’où s’envolent parfois quelques engins qui paraissent sortir des premiers âges de l’aviation.
Mais c’est son église, dédiée à Saint Martin, qui retient la plus grande attention. Elle témoigne des évolutions et des transformations humaines, et de son impact sur l’environnement. Ainsi on y distingue les évolutions stylistiques propres à chaque époque : romane, gothique, classique, jusqu’à sa rénovation récente de 2005 à 2010 par l’architecte en chef des monuments historiques Philippe Oudin.
Sa naissance remonterait aux11e/12e siècle. Une petite église romane de plan basilical aurait été associée à un prieuré. Aujourd’hui seul en subsiste la tour clocher.
Avec l’extension de la communauté monastique, fin 12e et début 13e siècle, la nef et le chœur sont agrandis. A la façon de faire de l’époque romane, a première est voûtée en « berceaux » sur trois trames, l’abside, elle, est voûtée en « cul-de-four ». Seule la tour clocher est conservée. La pierre calcaire blanche est extraite de ce même plateau qui reçoit l’église et qui a servi de carrière toute proche.
Fin 15e et début 16e siècle, le déclin des vocations monastiques et le regroupement de ceux-ci dans des communautés plus importantes, en même temps que l’augmentation significative de la population campagnarde, font que ce lieu monacal devient une église paroissiale, conservant un statut de prieuré avec quelques sœurs habitant les bâtiments annexes. Les dimanches et fêtes religieuses voient affluer un nombre grandissant de paysans, si bien qu’une extension de la nef au nord est réalisée par l’adjonction d’une seconde travée. Le mur gouttereau au nord est détruit, et des voûtes gothiques en croisées d’ogive remplacent les anciennes voûtes en berceau de l’époque romane. Deux énormes piliers cylindriques viennent reprendre les poussées dans ce qui devient l’axe central de la nef, déséquilibrée maintenant par rapport au chœur roman.
Aussi aux 16e /17e siècle, la vue sur le chœur est améliorée par la destruction de la partie basse des piliers du transept, seul partie restante de l’église d’origine du 11ème siècle. Mais le cône visuel sur l’autel n’étant pas suffisant à cause du resserrement causé par la tour clocher entre le chœur et la nef, l’orientation de l’église est modifiée en nord-sud, au profit de l’orientation traditionnelle est-ouest. Un nouvel autel d’allure classique, avec fronton triangulaire posé sur des colonnes cannelées à chapiteaux corinthiens, prend place contre le mur gouttereau nord, obstruant la seule ouverture sur cette façade.
Aux 18e et 19e siècle, des contreforts sont élevés en adossement pour contenir la poussée de la voûte en cul-de-four de l’abside qui présente des fissurations. Le curé en profite pour faire fermer l’accès à ce qui était anciennement le chœur pour le transformer en sacristie et cave à vins servant indifféremment pour la messe où son usage personnel, une porte pratiquée dans l’abside donnant un accès direct sur le presbytère.
A la Révolution, le presbytère est fermé, et les bâtiments du prieuré sont vendus à un hobereau local.
Sur ordonnance royale de Charles X le 12 août 1827 les communes d’Argentine et de La Rochebeaucourt fusionnent, et l’église d’Argentine cède la place à celle de son ancienne rivale comme lieu de culte.
Désaffectée pratiquement au 20ème siècle, elle est abandonnée à son triste sort d’église solitaire sur son plateau quasi déserté, jusqu’à son classement comme monument historique en 1974, mais il faudra attendra le début du 21ème siècle pour la ressusciter.
En fait toute cette histoire n’est que le fruit de mon imagination, poussé à la seule observation des lieux, et de quelques bribes d’informations recueillies ça et là. C’est donc une histoire « supposée », comme celle que l’on pourrait fabriquer en voyant la carcasse d’un bateau échoué sur une plage, et à partir de laquelle on peut imaginer les tempêtes subies par le navire et son équipage.
C’est parfois ça l’histoire, imaginer les chaînons manquants, quitte à faire sursauter quelques puristes. Mais la connaissance n’est-elle pas parfois le fruit du hasard ou de l’imagination ? Ceci, bien sûr, sans ôter la part importante de travail que représente le dépouillement des sources documentaires. Mais à Argentine, celles-ci font défaut : on raconte que le maire d’Argentine, refusant la fusion avec la commune voisine, aurait par dépit brûlé les archives de la commune…
Souvent on a tendance à ériger en héros de légende ceux qu’on aime ?