vient de l’anglais RESPONSABILITY. Le mot apparaît à la fin du XVIIIe siècle alors qu’on parlait déjà de responsable à la fin du XVIIe siècle, dans le sens du latin RESPONSUS (de RESPONDERE).
Voir le Code Civil, nouveaux articles 1792 et 2270: la responsabilité qui planait sur les architectes et les entrepreneurs est maintenant étendue «à toutes les autres personnes liées au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage».
Il y a, en fait, de nombreuses responsabilités: administrative, artisanale, civile, civile professionnelle, contractuelle, post-contractuelle, délictuelle, disciplinaire, salariale, extra-contractuelle, pénale, et même de l’expert.
EXTRAIT DU BULLETIN “ BREVES ” de la CNCEJ N°30 du 30 décembre 2008
Modalités d'application de la réforme sur la prescription en matière civile aux expertises en cours et à venir
Exemples :
Un rapport déposé en 1977 entraîne votre responsabilité jusqu'en 2007 inclus.
Un rapport déposé en 2000 entraîne votre responsabilité 2013 inclus.
Un rapport déposé en 2008 entraîne votre responsabilité 2013 inclus.
A partir de 2008, l'Expert est responsable 5 ans.
L'idée force qui se dégage des discussions avec les magistrats est que le départ de la responsabilité quinquennale est la date de réception du rapport en RAR aux parties (conservez vos accusés réception avec vos rapports et vos ordonnances de taxes.
Historique :
Si le principe de la responsabilité civile de l’expert été timidement affirmé par l’article 320 de l’ancien Code (1806), en cas de retard ou de refus de la part des expert de déposer leurs rapports (donc dans des cas nécessairement limités, palpables et objectifs) cette responsabilité n’est que récemment, à la fin du XX° siècle, devenue un vrai sujet : la recherche de toute responsabilité, dans tous les domaines, est devenue depuis lors une sorte de sport lucratif.
Malgré cela la jurisprudence publiée est très rare :
On passera rapidement sur le premier arrêt significatif de la Cour de cassation rendu par la Chambre des Requêtes (donc une chambre de « tri ») le 26 octobre 1914, arrêt selon lequel les experts sont responsables en vertu des règles de droit commun (art. 1382 et suivants du Code civil).
Un deuxième arrêt est rendu beaucoup plus tard et dans le même sens, mais dans des termes plus précis. Il émane alors, ce qui est important à prendre en compte, d’une chambre de jugement (Cas. Civ. 9 mars 1949).
On citera enfin le célèbre arrêt (2° civ. du 8 octobre 1986), sanctionnant une erreur de dactylographie commise dans un rapport médical et qui aboutissait à une incapacité dix fois supérieure à la réelle.
Chefs de mise en cause de la responsabilité civile de l’expert
La responsabilité traditionnelle de l’expert est essentiellement mise en cause :
Même si on peut toujours chercher à délimiter la faute (celle que ne commettrait pas un expert prudent et avisé), mais l’alternative est clairement posée : ou bien l’expert est incompétent et il mérite d’être sanctionné, ou bien il a correctement accompli sa mission avec les aléas qu’elle comporte.
Il reste que les procès en responsabilité « traditionnelle » sont alors peu nombreux et que les indemnisations correspondantes restent globalement à un niveau modeste.
Depuis une dizaine d’années, et selon une « mode » qui va sans cesse croissant, la recherche de la responsabilité civile de l’expert judiciaire est l’objet de détournements de procédure de toutes sortes : instrumentaliser l’expert est devenu une pratique courante.
L’expert est en quelque sorte devenu le fusible du procès : non professionnel du droit, ne connaissant de la procédure ce qui est nécessaire, sans plus, à l’accomplissement des missions qui lui sont confiées, il est peu à peu devenu une cible idéale : les opérations d’expertise tournent-elles au désavantage de telle ou telle partie que le voilà menacé, piégé, objet de tentatives de récusation en cours d’expertise (liste non limitative), par des conseils qui font flèche de tout bois à tout moment, y compris après le dépôt du rapport.
Le nombre d’assignations pour les motifs traditionnels évoqués plus haut ne cesse donc d’augmenter, et les appels à taxe se multiplient.
Le secteur bâtiment et travaux publics est pour les détournements de procédure un domaine privilégié.
Quelques itinéraires parmi les plus courants :
1. Le détournement de la procédure de référé :
Comme on le sait, la plus grande partie des expertises sont décidées en référé : il s’agit le plus souvent de constater, de rechercher les causes, de décrire. Jamais de préconiser ou de surveiller les travaux. L’expert doit donc ici éviter d’être la victime du texte même de la mission pour laquelle il est commis.
Dans ce cas de figure, l’expertise reste la plupart du temps au niveau précontentieux du fond : restent en présence l’expert, les parties et leurs conseils, et aucune décision judiciaire ne vient donc donner l’autorité de la chose jugée car il n’y a pas de décision, seulement un rapport d’expertise qui n’a que la valeur d’un avis.
La tendance est de plus en plus que les conseils mécontents n’hésitent pas à assigner l’expert devant un tribunal pour obtenir des dommages-intérêts.
Ce procédé est extrêmement fallacieux, car la responsabilité d’un expert ne peut être recherchée que lorsqu’il a déposé son rapport, qu’il a été discuté contradictoirement devant la juridiction de jugement et que celle-ci a jugé. Alors si l’expert a commis des fautes sa responsabilité pourra ensuite être recherchée.
Or dans le procédé ci-dessus décrit, l’expert est immédiatement considéré comme une partie.
2. Le contentieux de la rémunération :
Il se déroule devant le Premier président. Seul l’expert est à même de se défendre, connaissant parfaitement son propre dossier et la présence d’un conseil à ses côtés n’étant pas nécessaire.
3. Les nouveaux moyens de mise en cause de la responsabilité :
Il s’agit de donner à des moyens procéduraux des portées et destinations qu’ils n’ont pas et à cet égard l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme est précieux aux avocats sans scrupules.
Les exemples sont de plus en plus nombreux : il suffit de démontrer en cours de procédure, que le procès ne peut se dérouler dans des conditions devant un tribunal impartial. Les dispositions du CPC et du Code administratif déterminant les causes de récusation n’ont plus aucune signification puisqu’elles n’épuisent pas ces causes.
On sait que des experts ont vu leur expertise annulée par la Cour de cassation car leur impartialité était mise en cause alors que rien ne pouvait le leur laisser prévoir.
Ce genre de démarche peut aboutir à des situations gravissimes pour l’expert, tel le cas extravagant d’un confrère agressé et qui finalement, après cassation et renvoi devant la Cour d’appel voit son expertise annulée doit supporter l’article 700 et rembourser le coût de son travail (on pourra se reporter à mes différents articles sur ce sujet précis).
Or, au civil, la récusation peut être soulevée à tout moment avant le dépôt du rapport, c’est-à- dire lorsque le travail est fait et l’orientation des conclusions expertales déjà connue (pré-rapport) ou pressentie (déroulement des opérations). Il arrive même (procédure au fond) qu’elle le soit après le dépôt du rapport mais avant jugement.
Droit administratif :
Les mêmes procédés ont cours en droit administratif, mais il faut rappeler que, dans le cadre de sa mission, l’expert intervient pour le compte de la puissance publique et que sa responsabilité civile est automatiquement garantie par celle-ci.
Seul est à considérer le cas (très rare) de l’action récursoire de l’Etat contre l’expert, si l’Etat est jugé responsable en première ligne alors que la faute incombe à l’expert.
Le rôle de l’assureur est de garantir la responsabilité civile des experts judiciaires, lorsqu’elle sera engagée. Les cas de figure principaux à retenir sont exposés ci-dessus, mais, naturellement, d’autres situations peuvent être évoquées.
Le rôle de l’assurance demandera donc à être explicité après un débat portant sur la sinistralité, actuelle et potentielle (prise en compte de l’évolution des procédures engagées à l’encontre de experts), avec production par l’assureur présent au débat des chiffres correspondants (nombre d’assignation d’experts, nombre d’instances menées à leur terme, importance des indemnisations).
Un tel débat portera aussi sur la problématique particulière de la responsabilité civile reposant sur les articles 1382 et suivants du Code civil.
Un autre débat pourra utilement se tenir sur les conditions d’intervention de l’assureur dans les différents cas de figure posés ci-dessus, et procéduralement, et financièrement.
Il sera de première utilité que les présidents des compagnies, qui seront appelés à voter pour tel ou tel concurrent à l’appel d’offres engagé, fassent part de leurs observations, de leurs suggestions et de leurs exigences : il faut ici bien souligner qu’il s’agit pour la première fois dans l’histoire de l’expertise judiciaire française d’établir un contrat d’assurance qui puisse être adapté à la diversité des multiples activités en présence.
Le rôle de l’assureur devra être précisé et détaillé à la fois en ce qui concerne les modalités et les limites de son intervention dans les différentes situations qui pourront se présenter.
Enfin, comme il n’est pas douteux que le contentieux de l’expertise judiciaire (notamment parce qu’il est lié à la technique) est un contentieux très particulier qui nécessite des compétences particulières, les éventuelles défenses ne peuvent pas être confiées à n’importe quel avocat.
On rappellera ici que le conseil habituel du C.N.C.E.J., qui connaît parfaitement les arcanes de cette famille très particulière de procédures, pourrait utilement tenir ce rôle, le cas échéant, aux côtés de l’assureur.
La Cour de cassation propose un tour d'horizon détaillé des différents régimes de responsabilité des constructeurs, le tout, évidemment à jour des dernières jurisprudences !
La communication diffusée dans le bulletin d'information du 15 juillet 2009, fait le point sur les deux grands thèmes que sont les garanties légales et les responsabilités contractuelles, délictuelles et spécifiques des constructeurs. Une occasion de rappeler les dispositions applicables mais surtout les questions qui restent en suspens ou qui ont été précisées par la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire.
Il est ainsi fait état des thèmes épineux qui tracassent par tradition les acteurs de la construction. C'est le cas notamment de l'absence de définition légale de l'ouvrage ou encore de la délicate notion d'équipement pouvant entraîner la responsabilité solidaire (EPERS). Delphine Chauchis, auditeur à la Cour et auteur du document, n'hésite pas à rappeler les divergences de positions sur certains points. C'est le cas par exemple de la garantie de parfait achèvement “présentée le plus généralement comme une garantie purement objective, de sorte que le maître d'ouvrage n'a pas à démontrer la faute de l'entrepreneur ni même à établir d'imputabilité entre le dommage et l'activité de l'entrepreneur (analyses doctrinales divergentes sur ce point)”.
LES DIFFÉRENTS RÉGIMES DE RESPONSABILITÉ DES CONSTRUCTEURS
par Delphine Chauchis, auditeur
sous la direction d’Alain Lacabarats,président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation.
Les articles 1792 à 1792-6 du code civil distinguent trois régimes de garantie : la garantie décennale, la garantie biennale et la garantie de parfait achèvement.
Le choix entre garantie biennale et décennale dépend de l’étendue des effets du désordre et de la nature des éléments de l’ouvrage touchés par ce dernier.
La jurisprudence soumet à la garantie légale tous les dommages qui, par leur importance (décennale) ou leur siège (biennale), en relèvent, et ne permet pas d’en chercher la réparation sur un autre fondement.
Civ. 3e, 13 avril 1988, Pourvoi n°86-17.824, Bull. 1988, n°67
1. Conditions cumulatives de mise en oeuvre
Il n’existe aucune définition légale de l’ouvrage.
Il s’agit essentiellement d’une construction, mais de nombreuses questions subsistent et nécessitent un positionnement de la Cour.
Ce qui suppose que les travaux soient effectués en vertu d’un contrat de louage d’ouvrage, que l’ouvrage soit de nature immobilière et que les travaux relèvent de la construction (introduction de l’article 1792-7 du code civil par l’ordonnance du 8 juin 2005 entérinant la jurisprudence de la troisième chambre).
Cette notion est évoquée par les articles 1792-4-1 et 1792-6 du code civil, et définie comme l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage, avec ou sans réserves.
La réception peut être expresse, tacite ou judiciaire.
Quels sont les effets de la réception ?
La réception opère le transfert de la garde de l’ouvrage et des risques de la construction.
A ce titre :
- elle purge l’ouvrage de ses désordres et non-conformités apparentes ;
- elle ouvre les procédures de règlement financier ;
- elle transfère les risques au maître de l’ouvrage ;
- elle marque le point de départ des garanties de parfait achèvement et des garanties biennales et décennales.
Le désordre ne doit pas être apparent à la réception.
Son origine est indifférente ; il peut provenir d’un vice ou d’un défaut de conformité, et provenir d’un désordre de l’ouvrage ou d’un vice du sol.
Il doit être actuel, mais il peut être futur ou évolutif. La jurisprudence admet en effet la réparation, d’une part, des désordres futurs quand il est certain qu’ils atteindront avant l’expiration du délai la gravité requise, d’autre part, des désordres évolutifs, qui ne remplissent les caractéristiques exigées par l’article 1792 qu’une fois le délai décennal expiré (dommages qui trouvent leur siège dans l'ouvrage où un désordre de même nature avait été constaté et dont la réparation avait été demandée en justice avant l'expiration de ce délai, selon la définition dégagée par la Cour de cassation : 3e Civ., 18 janvier 2006, pourvoi n° 04-17.400, Bull. 2006, III, n°17).
Il doit être imputable à l’activité des personnes réputées constructeurs par la loi.
Les délais de garantie sont d’ordre public. Il s’agit de délais de forclusion.
2. Bénéficiaires
Le droit d’action accompagnant, en tant qu’accessoire, la chose vendue s’identifierait à elle (solution énoncée dans l’arrêt 1re Civ., 28 novembre 1967, pourvoi n° 65-12.642, Bull. 1967, I, n°348, et consacrée par le code civil en 1978).
La collectivité des copropriétaires, constituée en syndicat, a qualité pour agir en justice en vue de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble et relatifs aux parties communes, et peut ainsi exercer les actions fondées sur les articles 1792 et suivants (3e Civ., 21 novembre 1969, JCP 1970, II, 16189).
Les concessionnaires peuvent être subrogés dans les droits du maître de l’ouvrage (CE, 18 décembre 1987, X… et Y…, requête n° 58201).
Si le maître de l’ouvrage le souhaite, il peut transmettre son action à l’exploitant de l’ouvrage (CE, 3 octobre 1986, société Tunzini-Nessi).
Article 1792-6 du code civil
La garantie de parfait achèvement couvre tous les dommages, mais ne s’applique que pendant une durée très limitée à compter de la réception.
1. Quels responsables ?
Les entrepreneurs, seuls tenus d’une obligation de faire.
2. De quels dommages ?
Qu’il s’agisse de vices ou de défauts de conformité, les dommages garantis dans ce cadre sont les suivants:
ou
3. Dans quelles conditions ?
L’action peut être engagée dans le délai d’un an à compter de la réception.
La réception des travaux.
Nature :
Si elle est présentée le plus généralement comme une garantie purement objective, de sorte que le maître de l’ouvrage n’a pas à démontrer la faute de l’entrepreneur ni même à établir le lien d’imputabilité entre le dommage et l’activité de l’entrepreneur (analyses doctrinales néanmoins divergentes sur ce point), la plupart des auteurs soulignent que la cause étrangère est exonératoire de responsabilité.
Causes d’exonération :
- la faute du maître de l’ouvrage (3e Civ., 10 juillet 1996, pourvoi n°94-17.375) ;
- la faute du tiers étranger à l’opération de construction (norme AFNOR NF P 03-001, article 18.3) ;
- la force majeure.
4. Combinaison avec les autres régimes de responsabilité
Laisse subsister la responsabilité de droit commun :
Laisse subsister la responsabilité décennale des constructeurs :
Articles 1792 et 1792-2 du code civil
1. Quels responsables ?
- Le locateur d’ouvrage, qui participe directement à la conception ou à la construction de l’ouvrage et qui est lié au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage (à la différence du contrat de sous-traitance, par exemple) ;
- Le vendeur, après achèvement,d’un immeuble qu’il a construit ou fait construire.
- Cette situation particulière a rendu nécessaires quelques aménagements concernant notamment, dans l’hypothèse où le vendeur a lui-même construit l’immeuble, le point de départ de la garantie, qui, faute de réception, est fixé au jour de l’achèvement des travaux ;
- Le vendeur d’immeuble à construire est soumis aux garanties légales en application de l’article 1646-1 du code civil ;
- Le mandataire du propriétaire de l’ouvrage qui accomplit une mission assimilable à celle d’un locateur d’ouvrage
- Dès lors qu’est établie une responsabilité décennale à l’encontre du locateur d’ouvrage, si l’ouvrage concerné est qualifié d’équipement pouvant entraîner la responsabilité solidaire (EPERS), le fabricant est comptable d’une garantie complémentaire prévue par l’article 1792-4 du code civil.
Il n’est solidaire qu’avec son locateur d’ouvrage.
2. De quels dommages ?
La garantie décennale concerne les désordres qui compromettent la solidité de l’ouvrage, le rendent impropre à sa destination ou affectent la solidité d’un élément d’équipement indissociable.
Les critères d’impropriété ou d’atteinte à la solidité de l’ouvrage sont laissés à l’appréciation souveraine des juges du fond (la Cour de cassation ne contrôlant que l’existence d’une motivation suffisante).
3. Dans quelles conditions ?
Le dommage doit présenter les critères de gravité requis dans un délai de dix ans à compter de la réception de l’ouvrage.
La réception des travaux.
Nature :
Il s’agit d’une responsabilité de plein droit.
Instaure ainsi une présomption d’imputabilité du désordre et implique que le constructeur subisse les conséquences financières du risque.
Causes d’exonération :
La cause étrangère, soit :
4. Combinaison avec les autres régimes de responsabilité
Il s’agit d’un régime de responsabilité exclusif, destiné à réparer les atteintes à la solidité ou à la destination de l’ouvrage, y compris lorsque les désordres sont imputables, non à un vice de la construction, mais à une non-conformité de l’ouvrage.
Néanmoins:- laisse subsister la responsabilité de droit commun :
- si le désordre ne trouve pas sa source dans les éléments d’équipement ;
- si le désordre ne se manifeste pas par une atteinte à la solidité de l’ouvrage ou ne compromet pas la destination de celui-ci (arrêt ENEC : 3e Civ., 22 mars 1995, pourvoi n°93-15.233, Bull.1995, III, n°80).
Article 1792-3 du code civil
1. Quels responsables ?
Les constructeurs, au sens de l’article 1792-1 du code civil :
Cette situation particulière a rendu nécessaires quelques aménagements concernant notamment, dans l’hypothèse où le vendeur a lui-même construit l’immeuble, le point de départ de la garantie, qui, faute de réception, est fixé au jour de l’achèvement des travaux ;
Le vendeur d’immeuble à construire est soumis aux garanties légales en application de l’article 1646-1 du code civil.
2. De quels dommages ?
La garantie biennale ne concerne que les éléments d’équipement dissociables des éléments constitutifs de l’ouvrage posés au moment de la construction (3e Civ., 10 décembre 2003, pourvoi n°02-12.215, Bull. 2003, III, n°224)
Elle se limite dès lors :
3. Dans quelles conditions ?
L’action peut être engagée pendant deux ans à compter de la réception des travaux.
La réception des travaux.
Nature :
Il s’agit d’une responsabilité de plein droit.
Elle est peu invoquée par le maître de l’ouvrage et davantage par les constructeurs comme moyen de défense, dans la mesure où le délai est court et où la jurisprudence considère qu’une fois la prescription acquise, le maître de l’ouvrage ne peut invoquer un autre fondement pour demander réparation du même type de dommage (3e Civ., 6 octobre 1998, pourvoi n° 96-20.296).
Causes d’exonération :
la cause étrangère, soit :
4. Combinaison avec les autres régimes de responsabilité
Ce régime de responsabilité est exclusif de toute autre action concernant les éléments d’équipement dissociables.
Néanmoins :
- subsiste la responsabilité de droit commun :
si les éléments touchés ont été installés indépendamment de la construction de l’ouvrage
- subsiste la responsabilité décennale des constructeurs :
dans l’hypothèse où l’incidence du dommage sur la solidité ou la destination de l’ouvrage atteint une certaine gravité.
1. Quels responsables ?
La responsabilité de droit commun est engagée dans le cadre de l’exécution des contrats nécessaires à la réalisation de la construction, pour ce qui concerne les rapports entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs.
La responsabilité du fabricant peut être recherchée sur le terrain du droit commun :
- À l’égard du maître de l’ouvrage cocontractant, sur le fondement soit de la garantie des vices cachés, du défaut de conformité (3e Civ., 23 juin 1993, pourvoi n°91-18.132, Bull. 1993, III, n°226) ou du manquement à l’obligation de conseil du fournisseur
- A l’égard du maître d’ouvrage sans lien contractuel avec lui, reposant néanmoins sur une action contractuelle directe (fondée sur la non-conformité ou la garantie des vices cachés, en application du fameux arrêt d’assemblée plénière du 7 février 1986 - Ass. plén., 7 février 1986, pourvoi n°83-14.631, Bull. 1986, Ass. plén. n°2) qui assimile la situation du maître de l’ouvrage à celle d’un sous-acquéreur ;
- A l’égard du locateur d’ouvrage :
si le locateur d’ouvrage s’est procuré lui-même le produit, lorsqu’il invoque un manquement du fabricant à son obligation de conseil quant aux modalités de mise en œuvre du produit,
ou lorsque le locateur d’ouvrage, ayant dédommagé le maître de l’ouvrage, reprend l’action de ce dernier (3e Civ., 30 octobre 1991, pourvoi n°87-15.229, Bull. 1991, III, n°251).
2. De quels dommages ?
La responsabilité de droit commun sanctionne :
Ainsi, la responsabilité de droit commun ne concerne pas seulement la construction de l’ouvrage ni même les désordres de la construction, mais concerne également des événements intervenus dès avant la signature du marché (obligation de conseil du professionnel) et s’achève en principe avec la réception de l’ouvrage.
Elle s’applique dans les situations énoncées ci-dessous :
Le choix du fondement de l’action est laissé au maître de l’ouvrage, mais, en pratique, ce dernier n’aura recours à la responsabilité de droit commun que si les conditions de la garantie de parfait achèvement ne sont pas réunies, donc dans l’hypothèse de préjudices non réparables à ce titre, à l’égard des personnes qui ne sont pas soumises à cette dernière ou dans le cas où le délai d’action est dépassé.
3. Dans quelles conditions ?
L’action peut être engagée dans un délai de dix ans, en vertu d’une jurisprudence développée sous le régime de la loi de 1967 et réaffirmée depuis l’entrée en vigueur de la loi de 1978 (3e Civ., 16 octobre 2002, pourvoi n° 01-10.482, Bull. 2002, III, n°205) en application de l’article 2270 du code civil.
Ce délai est a priori maintenu en application de l’article 1792-4-3 du code civil à l’issue de la loi du 17 juin 2008, mais à compter de la réception des travaux.
La réception des travaux.
Nature :
Il s’agit d’une responsabilité de droit commun fondée sur une obligation de résultat ou de moyens en fonction de la nature de l’obligation violée, de la qualité du locateur d’ouvrage (concepteur ou exécutant).
Causes d’exonération :
la cause étrangère, soit :
4. Combinaison avec les autres régimes de responsabilité
Caractère subsidiaire de la responsabilité de droit commun eu égard aux responsabilités biennales et décennales :
Tout dommage présentant les caractéristiques susceptibles de le soumettre aux garanties décennales ou biennales ne peut être réparé que sur le fondement de ces garanties (3e Civ., 10 avril 1996, Bull. 1996, III, n° 100).
Coexistence de la responsabilité de droit commun et de la garantie de parfait achèvement :
La responsabilité de droit commun peut être invoquée concurremment avec la garantie de parfait achèvement pour ce qui concerne :
Principe : elle concerne les tiers au contrat de louage d’ouvrage, soit que les dommages ne puissent être rattachés à l’exécution du contrat, soit qu’ils frappent des personnes qui ne sont pas parties au contrat.
1. La responsabilité délictuelle des constructeurs
Distinction entre la responsabilité délictuelle de droit commun et le trouble anormal de voisinage.
- Action fondée sur les articles 1382 et 1383 du code civil :
le tiers lésé doit rapporter la preuve de la faute, du dommage et du lien de causalité, dans un délai de dix ans à compter de la réception des travaux, en application de l’article 1792-4-3 du code civil ;
- Action fondée sur l’article 1384, alinéa premier, du fait de la garde de l’immeuble ou du chantier :
limitée à la période antérieure à la réception
chaque locateur d’ouvrage est responsable des seules choses qu’il a sous sa garde sur le chantier pendant la durée de la construction, et non de l’ensemble des choses constituant le chantier lui-même ;
- Action fondée sur l’article 1386 du code civil, pesant sur le propriétaire d’un bâtiment dont la ruine, arrivée par suite du défaut d’entretien ou par le vice de la construction, a causé un dommage :
suppose que la réception des travaux soit intervenue (le propriétaire prend alors la qualité de gardien)
Responsabilité de plein droit pesant sur le propriétaire, et qui suppose à la fois la ruine de la partie du bâtiment ayant causé le dommage et que la ruine ait pour cause un vice de la construction ou un défaut d’entretien.
Nul ne doit causer à autrui de trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage
Il s’agit d’une responsabilité sans faute, d’origine purement prétorienne.
Le voisin (notion entendue largement par la Cour de cassation - cf. 3e Civ., 17 mars 2005, pourvoi n°04-11.279, Bull. 2005, III, n° 73) peut rechercher, dans les mêmes conditions, la responsabilité :
- du maître de l’ouvrage ;
- du ou des constructeurs en leur qualité de voisins occasionnels : 3e Civ., 30 juin 1998, pourvoi n° 96-13.039, Bull. 1998, III, n° 144, et 3e Civ., 13 avril 2005, pourvoi n°03-20.575, Bull. 2005, III, n° 89, puis 3e Civ., 22 juin 2005, pourvois n°03-20.068 et 03-20.991, Bull. 2005, III, n°136, et, enfin, 3e Civ., 21 mai 2008, pourvoi n°07-13.769, Bull. 2008, III, n° 90.
à titre d’exemple, l’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant ;
Le maître de l’ouvrage est subrogé dans les droits du tiers indemnisé (3e Civ., 21 juillet 1999, pourvoi n° 96-22.735, Bull. 1999, III, n° 182) ; les constructeurs impliqués dans le dommage sont considérés comme les contributeurs définitifs, sauf pour eux à démontrer que le maître de l’ouvrage a accepté de supporter les inconvénients de voisinage créés par la construction (dans le cadre de la contribution à la dette, cf. 3e Civ., 26 avril 2006, pourvoi n°05-10.100, Bull. 2006, III, n° 100) ;
Les constructeurs, bien que participant à une même opération de construction, tous liés au maître de l’ouvrage par des contrats distincts et parallèles, n’ont aucun lien les uns avec les autres.
Les constructeurs condamnés in solidum à l’égard d’un maître de l’ouvrage (dès lors que leurs diverses fautes se sont conjuguées de manière indissociable dans la production du dommage) ont la possibilité d’exercer des actions récursoires les uns contre les autres, afin de parvenir à un partage de leur responsabilité (contribution à la dette) ; ces actions sont directes, délictuelles et non subrogatoires.
L’action récursoire d’un maître de l’ouvrage condamné pour des dommages causés aux tiers est également de nature délictuelle.
Dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation, sauf à ce que la Cour de cassation interprète l’article 1792-4-3 du code civil comme s’imposant dans le cadre des actions intentées entre constructeurs.
2. La responsabilité délictuelle des fabricants
Le fabricant est responsable à l’égard des locateurs d’ouvrages sur un fondement :
- si le locateur d’ouvrage s’est procuré lui-même le produit, lorsqu’il invoque un manquement du fabricant à son obligation de conseil quant aux modalités de mise en œuvre du produit,
ou
- si le locateur d’ouvrage, ayant dédommagé le maître de l’ouvrage, reprend l’action de ce dernier (3e Civ., 30 octobre 1991, pourvoi n°87-15.229, Bull. 1991, III, n°251).
1. Responsabilités spécifiques dont répondent les fabricants
Le fabricant répond de garanties spécifiques:
2. Responsabilités spécifiques dont répondent les promoteurs et vendeurs
Les promoteurs et vendeurs répondent, à l’égard du premier occupant, d’une garantie d’isolation phonique prévue par l’article L. 111-11 du code de la construction et de l’habitation.
Cette garantie dure un an à compter de la prise de possession (et non de la réception) et couvre les défauts de conformité aux exigences minimales d’isolation requises par la réglementation.
Toutefois, un défaut d’isolation phonique pourra entraîner la mise en œuvre de la garantie décennale s’il rend l’immeuble impropre à sa destination (3e Civ., 16 septembre 2003, pourvoi n°02-15.031), même si les exigences minimales légales ou réglementaires ont été respectées (assemblée plénière, 27 octobre 2006, pourvoi n°05-19.408, Bull. 2006, Ass. plén., n°12).
Enfin, un défaut d’isolation phonique pourra entraîner la mise en jeu de la responsabilité de droit commun lorsque le trouble a son origine dans un défaut de conformité (3e Civ., 21 février 1990, pourvoi n°88-10.623, Bull. 1990, III, n°59).
OUVRAGES DE RÉFÉRENCE
J-B Auby, H. Périnet-Marquet, R. Noguellou, Droit de l’urbanisme et de la construction, Montchrétien, 8e édition
Ph. Malinvaud, Droit de la construction, Dalloz action, 2007-2008
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et, en outre,
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Afin d'approfondir le sujet de la “responsabilité”, voici une reflexion sur la responsabilité civile de l'expert, grâce à l'intervention du CNEM du 27/11/2010 :
L’aspiration à la sécurité est devenue le mythe de notre civilisation. Les individus sont aujourd’hui en quête du service infaillible et rejètent l’idée que leur propre attitude puisse être la cause de leur dommage. La montée en puissance des actions aux fins d’indemnisation à l’encontre des professionnels en porte témoignage. Professionnels du droit et professionnels de la santé, principalement. Peut-on dire qu’un tel raz-de-marée emporte les experts dans son sillage ? Le développement de l’expertise judiciaire comme son importance accrue, au sein du procès, suffit à se poser la question.
Le travail de l’expert peut être frappé de sanctions, telle la nullité ou l’inopposabilité de son rapport, d’ailleurs les demandes en ce sens ne sont pas exceptionnelles. L’expert lui-même peut encourir des sanctions dites « disciplinaires » : suspension provisoire, retrait ou radiation de la liste. Mais peut-il de surcroît engager sa responsabilité personnelle à raison d’une exécution jugée préjudiciable de sa mission. Sa qualité de collaborateur de service public de la justice parfois reconnue ne s’oppose-t-elle pas à une telle idée ?
La responsabilité pénale de l’expert peut se concevoir dès lors qu’une infraction est caractérisée. On peut songer, par exemple, au non respect du secret professionnel 1) ou encore au faux et à l’escroquerie au jugement2).
S’il n’existe pas à proprement parler de responsabilité disciplinaire, il n’est pas possible de passer sous silence les sanctions disciplinaires qui sont prévues à l’article 6-2 de la loi du 29 juin 1971 3), qui disposent : « Toute contravention aux lois et aux règlements relatifs à sa profession ou à sa mission d’expert, tout manquement à la probité ou à l’honneur, même se rapportant à des faits étrangers aux missions qui lui ont été confiées exposent l’expert qui en serait l’auteur à des poursuites disciplinaires… »
A la différence de la responsabilité professionnelle des architectes, des avocats, des experts comptables, des géomètres experts, des notaires ou des médecins, la question de la responsabilité civile de l’expert n’est pas particulièrement ne donne pas lieu à beaucoup d’études doctrinales et la jurisprudence est rare. Ce constat fait par tous ceux qui se sont penchés sur la question par le passé peut encore être fait de nos jours. Le contentieux de la responsabilité civile de l’expert est pauvre, à tel point qu’un commentateur a pu écrire que « telle l’Arlésienne de Mistral, la responsabilité professionnelle de l’expert et du médecin-conseil est souvent évoquée, mais rarement visible »4).
La qualité des travaux des experts qui, pour être inscrit sur la liste ont du prouver leurs compétences, serait t’elle la justification ? Il semble difficile de sanctionner un expert judiciaire sans avoir le sentiment de mettre en même temps en cause le service public de la justice.
L’ambiguïté du statut et surtout la difficulté de mettre en œuvre les conditions de la responsabilité de l’expert seraient plutôt les causes de cet état de fait. La jurisprudence admet, depuis presque un siècle maintenant5) le principe d’une responsabilité civile de l’expert (I), il est difficile en pratique de prouver que la faute de l’expert est à l’origine du dommage subi par le demandeur. En d’autres termes il est difficile de mettre en œuvre les conditions de la responsabilité de l’expert (II).
Aujourd’hui la responsabilité civile de l’expert est fondée sur le droit commun de la responsabilité civile. Cela étant, cette assertion est loin d’être une évidence dans la mesure où certains auteurs, parmi lesquels Gérard Rousseau et Patrick de Fontbressin, distinguent selon que l’expert est désigné par la juridiction administrative ou par la juridiction judiciaire6). Les magistrats administratifs sont unanimes sur ce point : la juridiction administrative est compétente lorsque l’expert est désigné par celle-ci.
L’expert peut intervenir devant les juridictions civiles, pénales, mais aussi administratives. Or, la jurisprudence administrative, depuis le célèbre arrêt Aragon, considère l’expert comme un collaborateur occasionnel du service public de la justice 7). L’expert collabore au service public de la justice puisqu’il est lié au juge qui le nomme et définit sa mission ; il éclaire ce dernier. Mais l’expert ne met qu’occasionnellement ses compétences au service de la justice, à la différence de l’auxiliaire de justice qui exerce une profession entièrement consacrée à la Justice.
En conséquence, lorsque l’expert est victime, dans l’exercice de sa mission, d’un dommage direct et certain, le Conseil d’État considère qu’il bénéficie, en sa qualité de participant au service public, d’une réparation entière de ses préjudices garantie par l’Etat8).
Le mécanisme de substitution de la responsabilité de l’Etat à celle de l’auteur défaillant lui assure la réparation de son préjudice : hormis le cas de faute de l’expert ayant concouru au dommage, on peut parler, selon Jacques Hureau et Patrick de Fontbressin de « garantie tous risques de l’Etat »9).
En conséquence encore, lorsque l’expert est auteur d’un dommage à l’occasion de sa mission, même s’il n’est pas véritablement un agent public10), l’expert judiciaire désigné par le juge administratif serait soumis à un régime de responsabilité emprunté à celui de l’agent public11), soit une responsabilité administrative. C’est l’État qui verrait donc sa responsabilité engagée, en cas de faute lourde seulement12), sauf faute personnelle de l’expert, détachable de la mission de service public et dépourvue de lien avec celui-ci. Il faudrait qu’il s’agisse d’une faute manifestant la volonté de nuire ou une faute d’une gravité exceptionnelle. Dans cette hypothèse, non seulement l’Etat pourrait agir de manière récursoire à l’encontre de l’expert fautif, mais aussi la victime devant les juridictions civiles sur le fondement de 1382 et 1383 du Code civil. Cette quasi-immunité s’expliquerait également par le fait que l’expert contribue à l’obligation de l’Etat d’assurer un procès équitable13). Le Conseil d’État dans l’arrêt Robert, en date du 7 février 2003, va également en ce sens, en retenant la compétence de la juridiction administrative en la matière.
Cette dernière position est cependant contestée par une partie de la doctrine. Selon cette dernière, si les juridictions administratives ont directement reconnu à l’expert victime d’un dommage cette qualité de participant au service public, elles n’ont pour autant pas tiré les conséquences au plan de la responsabilité de l’expert auteur de dommage. Par ailleurs, l’immunité de la responsabilité administrative est d’interprétation stricte14). Par ailleurs encore, l’article R. 621-4 du Code de justice administrative énonce qu’après avoir accepté sa mission, l’expert, qui ne la remplit pas ou ne dépose pas son rapport dans le délai fixé par la décision, peut être, après avoir été entendu par le tribunal, condamné à tous les frais frustratoires et à des dommages et intérêts. Enfin, la jurisprudence judiciaire a eu l’occasion de considérer que même si la faute est attachée à sa mission de service public, l’expert n’est pas soumis au régime de responsabilité de l’agent public15). C’est ainsi, par exemple, que la Cour de cassation a, le 19 mars 2002, énoncé que « l’action en responsabilité contre l’expert judiciaire, désigné par la juridiction administrative, devait se tenir devant la juridiction judiciaire puisque les éventuelles fautes commises par lui engageaient sa propre responsabilité et non celle de l’Etat»16).
Une chose est sûre cependant, les juridictions civiles reconnaissent une responsabilité propre de l’expert désignées par elles fondée sur le droit commun.
La jurisprudence est constante sur ce point et date de 191417) : la responsabilité personnelle de l’expert judiciaire à raison des fautes commises dans l’accomplissement de sa mission est engagée conformément au droit commun18). La Cour de cassation a refusé pendant longtemps de reconnaître à l’expert judiciaire la qualité de collaborateur du service public. Son refus de retenir une responsabilité de l’Etat en cas de non-paiement des honoraires de l’expert le confirme19).
Cependant les choses peuvent changer avec l’affaire Peňarroja puisque la Cour de cassation, avant de surseoir à statuer et poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’union européenne, a eu l’occasion de préciser que « L’expert considéré comme un collaborateur occasionnel du juge est investi de ses pouvoirs par celui-ci et ne peut être choisi que par lui dans un litige donné »20).
Aucun texte ne vise expressément la responsabilité des experts, c’est pourquoi au plan civil, elle se fonde sur la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle des articles 1382 et 1383 du Code civil. En effet, l’expert est désigné par le juge et n’est en aucun cas lié aux parties à l’instance, alors même que ce serait l’une d’entre elles qui aurait demandé l’expertise et qui serait amenée à la financer21).
L’expert sera donc responsable, comme tout un chacun, de la moindre faute qu’il commettra dans l’exercice de sa mission qui lui a été conférée par le juge. C’est une responsabilité propre qui ne dépend plus, depuis quelques années déjà, du moment de l’action en réparation.
En effet, pendant longtemps, il était admis que l’action en responsabilité devait seulement être exercée avant l’homologation du rapport par le juge. La mise en jeu de la responsabilité de l’expert pour faute grave était concevable22). Après le jugement il était trop tard. Se prononcer sur la responsabilité de l’expert, c’était indirectement remettre en cause une décision de justice revêtue de l’autorité de la chose jugée puisque la décision rendue par le juge est venue s’intercaler entre le rapport d’expertise et le dommage23). En d’autres termes, la jurisprudence estimait que dès que l’homologation intervenait par une décision judiciaire devenue définitive, le rapport faisait partie intégrante de la décision ; il bénéficiait ainsi de l’autorité de la chose jugée au même titre que la décision elle-même. L’expert était inattaquable, à l’instar de la décision qui entérinait son rapport.
Face aux critiques doctrinales (qui reprochaient une confusion des fonctions des juridictions et des experts), la jurisprudence a progressivement modifié sa conception (depuis 1949 on admet le principe) pour retenir aujourd’hui une responsabilité propre de l’expert sur le fondement extra-contractuel. Il n’y a plus lieu de distinguer selon que l’action est engagée avant ou après l’homologation par le juge : la responsabilité de l’expert peut être engagée alors même que le juge a suivi son avis, dans l’ignorance de l’erreur dont son rapport se trouvait entaché24).
Cela étant, il existe sans doute des réminiscences du raisonnement tendant à limiter les recours en responsabilité contre l’expert, puisque les tribunaux sont réellement réticents à accueillir la responsabilité civile de l’expert qui devient alors difficile à mettre en œuvre.
La spécificité du statut de l’expert n’est pas prise en compte par la jurisprudence judiciaire lorsqu’elle puise dans le droit commun le fondement de sa responsabilité, mais elle influence les conditions de sa mise en œuvre. Ainsi, la trilogie de la faute, du dommage et du lien causal présente des particularités qui ont toutes pour résultat de dissuader l’accueil de la responsabilité de l’expert judiciaire.
Malgré une grande diversité des fautes que l’expert peut potentiellement commettre, l’on constate que les tribunaux sont en pratique réticents à les admettre.
Compte tenu de la variété du champ d’intervention des experts, les fautes qu’ils peuvent commettre sont extrêmement diverses.
Aujourd’hui25) il est admis qu’une simple faute, même légère, engage la responsabilité de son auteur dès lors qu’elle a causé le dommage subi par le demandeur. En vertu de l’article 1383 du Code civil, il peut s’agir d’une erreur, d’une imprudence ou d’une négligence. Mais il peut également s’agir d’une violation intentionnelle ou malicieuse des obligations de l’expert.
Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer :
Le fait de ne pas s’être comporté comme l’aurait fait un homme de l’art normalement prudent, diligent, compétent et informé. Il s’agit de la référence implicite au concept traditionnel du « bon père de famille » applicable sur le terrain de 1382 C. civ. Il en va ainsi d’une erreur ou d’une négligence que n’aurait pas commise un technicien avisé et consciencieux :
A côté de l’erreur technique que n’aurait pas commise l’expert normalement prudent et diligent, la JP relève plusieurs manquements fautifs aux obligations de l’experts spécifiées dans le Code de procédure civile. Il s’agit :
On le voit, les fautes sont diverses.
La réticence des tribunaux à admettre les fautes de l’expert – Cependant, il semble que les juridictions ont quelques difficultés à se départir de l’idée en vertu de laquelle condamner l’expert, c’est implicitement contester la décision du juge (elle-même inattaquable) qui a homologué son rapport. En conséquence, l’on observe une réticence diffuse, mais bien réelle des tribunaux à admettre la faute de l’expert judiciaire. C’est ainsi que certains magistrats du second degré n’hésitent pas à considérer que la responsabilité de l’expert ne peut être engagée faute pour le demandeur de démontrer l’existence « d’erreurs grossières » et « d’une intention malveillante ou d’un dessein de nuire »28).
A cette frilosité, s’ajoutent des difficultés plus concrètes que les juges rencontrent lors de l’accomplissement de leur mission. En effet, il n’est pas aisé de constater la faute d’un technicien dans un contexte où, par définition puisqu’il a sollicité l’avis d’un expert, le juge n’est pas compétent.
La conception stricte de la faute de l’expert se situe donc à contre courant du mouvement contemporain évoqué à titre liminaire d’élargissement des conditions de mise en jeu de la responsabilité civile.
On en veut pour exemple les erreurs fautives. Toute erreur commise par l’expert n’est pas nécessairement fautive. Une erreur technique ou scientifique ne pourra être considérée comme une faute civile que si elle n’aurait pas été commise par un expert normalement prudent et diligent, de la même spécialité et placé dans les mêmes circonstances que l’expert en cause.
Ainsi, à l’occasion de la célèbre affaire de Pont-Saint-Esprit, un expert avait été nommé afin d’établir l’origine de la toxicité du pain, dont la consommation avait coûté la vie à cinq habitants. Pressé par les événements, il a affirmé, sans véritable justification, que l’intoxication provenait de la mauvaise qualité de la farine. A la suite de cet avis, le minotier (proprio de l’établissement dans lequel on prépare les farines destinées au commerce) qui avait livré la farine a été incarcéré. Or, il s’est finalement avéré que, si la maladie avait bien été provoquée par la farine, la mouture réalisée par le meunier n’était pas en cause. Malgré l’erreur de l’expert, sa responsabilité n’a pas été engagée, faute pour le demandeur de démontrer qu’il n’avait pas été consciencieux ni diligent29).
S’agissant de l’erreur dans le travail matériel (touchant les opérations matérielles de mesure, transcription, description), on doit tenir compte des moyens techniques raisonnables à la disposition de l’expert au moment des opérations.
Est fautif le fait de donner un avis catégorique après une analyse graphologique alors que la science ou la technique utilisée ne peut conduire à des résultats exacts ou incontestables30).
S’agissant de l’erreur dans le travail d’analyse (menée sur les informations recueillies), ce dernier comportant un degré d’aléa plus important que le travail matériel, la responsabilité de l’expert ne pourra être retenue qu’en présence d’une erreur manifeste.
Est fautif l’expert qui n’a pas pris en compte tous les éléments recueillis ou a omis d’effectuer des investigations indispensables et évidentes31).
S’agissant de l’erreur dans le travail de rédaction (erreur de saisie), par exemple, la retranscription d’un mauvais taux d’incapacité par la suite d’une erreur de dactylographie32), l’expert ne répond pas d’une erreur si évidente qu’elle est décelable par toute partie au litige et par le juge.
Quand bien même la faute de l’expert serait retenue par le juge, sa responsabilité ne saurait être systématiquement accueillie. En effet, deux autres conditions doivent être réunies. Là encore on s’aperçoit que la preuve de leur présence est difficile.
Les deux autres conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile des experts est le dommage et le lien de causalité entre la faute et ce dernier.
Le succès de l’action en réparation engagée contre l’expert suppose que soit établie l’existence d’un préjudice, lequel peut revêtir différentes formes. Enfin, quelque soit la nature du préjudice, on verra que sa réparation varie selon le contexte.
L’existence du préjudice – L’expert ne peut être condamné à verser des dommages et intérêts au demandeur que si ce dernier justifie de l’existence et de l’étendue de son dommage. Le préjudice peut être différent selon que l’erreur ou la faute de l’expert a été découverte avant ou après le jugement.
S’il a été découvert avant, bien souvent c’est la nullité du rapport de l’expert qui sera demandée et non une action en responsabilité qui sera engagée. On peut aussi voir là la raison de la pauvreté du contentieux de la responsabilité.
Après le jugement, toutefois, et s’il y a eu condamnation, la situation est différente et le préjudice peut être plus important.
La nature du préjudice – Le dommage imputable à la faute d’un expert est extrêmement varié lui, tout est affaire de circonstance de sorte qu’aucune généralisation ne paraît possible.
Cela étant, globalement, le préjudice peut être matériel. Généralement, il consiste dans la lésion des intérêts patrimoniaux du demandeur. Il peut s’agir d’une perte (financière) éprouvée (damnum emergens) : par exemple, l’acheteur qui verse une somme en croyant à l’authenticité d’un objet d’art qui se révèle n’être qu’une copie, demande réparation d’un préjudice matériel33).
Il peut également s’agir d’un gain manqué (lucrum cessans). Tel est le cas de la veuve qui invoque le manque à gagner résultant d’une absence d’affiliation de son conjoint décédé à un régime de prévoyance34).
Le préjudice invoqué pourrait très bien s’analyser également en une perte de chance. Par exemple, dans un cas où la nullité du rapport d’expertise avait fait perdre définitivement au demandeur le bénéfice des constatations techniques de l’expert eu égard à l’évolution ultérieure de l’état des matériels par réparation ou usure, c’est la perte de chance de se prévaloir d’un principe de créance qui a été indemnisée35).
Plus rarement, le préjudice consiste dans la lésion d’intérêts extra patrimoniaux du demandeur. Par exemple, une juridiction a engagé la responsabilité d’un expert judiciaire pour non-restitution des pièces à une partie à un litige. Cette dernière invoquait un préjudice moral subi du fait de ne pouvoir « satisfaire le légitime désir de soumettre les documents aux juridictions compétentes »36). De même, un préjudice moral a pu être invoqué contre un expert en médecine légale, agissant dans un cadre judiciaire, pour atteinte à l’honneur et à la réputation dans la mesure où par sa faute, l’intéressé a été inculpé ou détenu préventivement de façon abusive37).
Marginalement encore, l’expert peut être responsable d’un préjudice corporel. Par exemple, la prescription par un chirugien-dentiste d’un appareil dangereux, lequel a perforé l’œil d’un enfant38). Situation plus propice pour l’expert automobile compte tenu des dangers inhérents présentés par les véhicules endommagés, puis remis en circulation, dont ils a la charge du suivi des travaux de remise en état.
La réparation du préjudiceGras – De façon générale, la réparation du préjudice prend la forme de dommages et intérêts. Cela étant, d’autres modalités de réparation sont concevables : la réparation peut ainsi consister dans un changement d’expert39).
Lorsque la réparation prend la forme de D-I, leur montant est souverainement fixé par la juridiction saisie de l’action en responsabilité.
L’indemnisation ne sera que partielle si la juridiction n’a pas tenu compte de l’intégralité du rapport d’expertise. Par ailleurs, elle sera également partielle en matière de perte de chance où le principe de la réparation intégrale du préjudice n’est pas retenu.
Elle sera totale si la décision du juge se range systématiquement aux conclusions de l’expert.
Cela étant, avant d’envisager toute condamnation de l’expert à réparer le préjudice, il faut établir l’existence d’un lien causal entre l’intervention fautive de l’expert et ce préjudice.
Pour la Cour de cassation, le critère du lien causal se trouve en principe exprimé dans l’enseignement constant selon lequel un rapport causal existe entre une faute et un dommage lorsqu’il peut être affirmé que, sans la faute, le dommage ne se serait pas produit tel qu’il s’est réalité in concreto (12 janv. 1988 et 8 oct. 1992).
Conformément au droit commun, la responsabilité de l’expert est subordonnée à la preuve d’une relation de cause à effet entre la faute qu’il a commise et le préjudice subi par la victime40).
Ainsi a-t-il très tôt été admis41) que la responsabilité de l’expert ne peut être retenue que si :
Si cette règle de droit commun s’applique sans difficulté à l’expert amiable, la spécificité du statut de l’expert judiciaire la rend d’application plus délicate. Le problème ici réside dans la preuve du lien de causalité entre la faute et le dommage car, la plupart du temps, le préjudice est directement imputable à la décision rendue par le juge, même si elle a été prise sur la base du rapport de l’expert. En conséquence, le plus souvent l’action en responsabilité engagée contre l’expert est rejetée.
La difficulté tient à l’intervention du juge, qui n’est pas lié par l’avis de l’expert qui l’éclaire et dès lors va « couvrir » en quelque sorte l’erreur ou la faute de l’expert. Dès lors, il semble délicat de découvrir un lien de causalité entre une faute éventuelle de l’expert et le préjudice résultant de la décision de justice. Finalement, se plaindre de l’expert judiciaire, c’est aussi un peu, indirectement, remettre en cause la décision du juge.
D’ailleurs, certaines juridictions se sont fermement opposées à toute recherche de responsabilité de l’expert judiciaire : ainsi la cour d’appel de Versailles a-t-elle pu affirmer le 29 novembre 1988 que « le juge, qui confie à un technicien une mission d’expertise, lui délègue temporairement ses pouvoirs pour l’accomplissement de cette mesure d’instruction, même si, en définitive, il n’est pas lié par l’avis de l’expert qui demeure soumis à son appréciation et peut être critiqué et discuté par les parties. Il s’ensuit qu’un expert ne peut voir sa responsabilité civile recherchée en justice par les parties pour l’avis qu’il a émis dans le cadre de l’exécution de sa mission. Toute autre solution serait de nature à compromettre l’indépendance de l’expert et sa liberté d’appréciation, qui s’imposent en vue d’une bonne administration de la justice, l’expert ne devant pas être entravé dans sa recherche de la vérité, par la crainte des responsabilités qu’il pourrait avoir encourues»43).
La Cour de cassation elle-même a parfois rejeté l’action en responsabilité de l’expert faute de lien causal. C’est ainsi qu’elle a approuvé une cour d’appel d’avoir débouté un preneur à bail évincé, de son action en responsabilité contre l’expert judiciaire qui avait fixé le montant de l’indemnité d’éviction en fonction de la seule valeur du fonds de commerce sans tenir compte du droit au bail, au motif qu’elle a justement relevé que la cause directe du dommage invoqué se trouvait dans l’appréciation et la décision de la cour d’appel44).
Pour autant, il ne faut pas en déduire hâtivement que l’expert ne peut être tenu pour responsable de rien. En effet, l’expert judiciaire qui n’a eu à émettre qu’un avis, pourra être retenu pour responsable des conséquences dommageables du jugement aux conditions suivantes :
La réforme de la prescription en matière civile par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 a déjà fait l’objet de plusieurs publications mais les modalités d’application restent à éclaircir45).
Après avoir entendu les représentants des experts de justice, qui souhaitaient la modification de l’article 6-3 de la loi du 29 juin 1971 qui disposait que « l’action en responsabilité dirigée contre un expert pour des faits se rapportant à l'exercice de ses fonctions se prescrit par dix ans à compter de la fin de sa mission » en substituant « cinq » à « dix », le parlement a abrogé ce texte et renvoyé la prescription de l’action en responsabilité contre un expert dans le droit commun46).
La prescription consiste…
Il ne faut pas perdre de vue que e délai de droit commun de la prescription extinctive doit constituer un juste équilibre ; il ne doit pas être trop long pour assurer la sécurité sans entraver le commerce juridique, qui doit rester conforme aux progrès technologiques (des transports et des moyens de télécommunication) et permettre de réduire le coût de conservation des preuves. Il ne doit pas être trop court pour éviter les injustices et le jugement moral de récompense d’un comportement fautif.
L’application du droit commun peut constituer une simplification de notre droit et des contraintes qui pèseront sur les experts de justice dans le temps mais pose des difficultés en terme de définition du point de départ et de computation des délais.
L’article 2224 du Code civil fixe le point de départ du délai de prescription au « jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits » lui permettant d’exercer l’action en justice. Le point de départ de la prescription n’est pas très facile à cerner et posera des difficultés aux experts pour savoir quand ils seront définitivement libérés du fardeau de la preuve de l’accomplissement de leurs diligences.
La réponse à cette question n’est pas simple et avant d’essayer d’y répondre il convient de rappeler que toute personne qui pourrait subir un préjudice qui trouverait son origine dans l’accomplissement de sa mission par un expert pourrait engager une action en responsabilité dans les conditions de droit commun. Désormais, il est indispensable que les experts s’assurent que les parties aient eu connaissance de leurs avis. En fonction de la nature de la mission, leurs diligences et leurs préoccupations pourront être différentes.
Sur le fondement de l’article 173 du Code de procédure civile, la notification d’une copie du rapport à chaque partie permettra de faire courir le délai de cinq ans dans les conditions de l’article 2224 du Code civil et la principale difficulté de détermination du point de départ se rencontrera en l’absence de dépôt de rapport par l’expert lorsque la communication sera effectuée par les greffes comme en matière pénale.
Qu’il s’agisse de prescription de cinq ans ou de déchéance de quatre ans le point de départ du délai est toujours la connaissance par l’éventuelle victime des faits à l’origine de son préjudice et l’article R.621-9 du Code de justice administrative sera particulièrement bien accueillie par les experts qui disposeront du moyen de connaître avec précision la date de la connaissance par les parties de leur avis.
A priori le délai devrait démarrer dès la notification du rapport effectuée en matière civile conformément à l’article 173 du Code de procédure civile et en matière administrative dans les conditions de l’article R. 621-9 du Code de justice administrative. En matière pénale, il paraît opportun de prendre toute mesure pour savoir quand les parties ont eu communication de l’avis de l’expert. En tout état de cause les rares difficultés qui seront rencontrées seront compensées par la règle du délai butoir.
Innovation majeure conduisant à la déchéance du droit d’agir au bout d’un certain temps, l’article 2232 du Code civil instaure un délai butoir de 20 ans à partir du jour de la naissance du droit. Le report du point de départ par la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. Les exceptions à la règle du délai butoir prévues par l’alinéa 2 de l’article 2232 du Code civil ne concernent pas l’activité des experts judiciaires, qui seront en tout état de cause libérés de tout fardeau de conservation de la preuve de leurs diligences 20 ans après le dépôt de leurs rapports.
La durée de cinq ans à compter du dépôt du rapport et la notification aux parties mérite quelques précisions en matière de décompte du délai et entraîne des conséquences pratiques qui ne peuvent être négligées.
Détaillé aux articles 640 à 647 du Code de procédure civile et aux articles 2228 et 2229 du Code civil, le principe de computation semble simple puisque, selon les articles 2228 et suivants du Code civil, la prescription se compte par jours, et non par heures. Elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli. Cependant, les circonstances de chaque espèce peuvent entraîner des difficultés et les innovations majeures de la loi ont trait aux incidents qui peuvent perturber le cours de la prescription pour la suspendre ou l’interrompre.
- Les anciennes causes de la suspension tendaient à protéger les incapables et sont confirmées dans le nouvel article 2235 du Code civil. Il convient de se poser la question de savoir si les experts qui devront donner un avis sur des situations concernant des mineurs ou des incapables pourraient voir le délai de prescription interrompu jusqu’au moment où ces derniers seraient en mesure de faire valoir leurs droits ? Ce pourrait être le cas de violences sur des nourrissons pour lesquels un juge demanderait l’avis d’un expert. Avant la loi du 17 juin 2008 le délai de prescription de dix ans débutait à la majorité de l’enfant ce qui pouvait prolonger le délai à 28 ans après le dépôt du rapport. La combinaison de l’article 2235 du Code civil, sur la protection des mineurs, et la règle du délai butoir prévue à l’article 2232 devrait limiter ce délai à 20 ans à compter des faits.
- Les nouvelles causes de la suspension résultent d’un empêchement résultant de la loi, d’une convention ou de la force majeure ainsi que de celles qui concernent la négociation et la demande de mesures d’instruction.
–> L’article 2234 du Code civil dispose que « La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». Ainsi, chaque expert devra apprécier chaque situation pour décider de conserver ses archives lorsque la prescription pourrait être suspendue.
Il est indiscutable que le point de départ du délai de prescription pour une personne qui dispose de la pleine capacité juridique est la notification du rapport. La grande nouveauté de la loi est prévue à l’article 2238 du code civil et consiste en la possibilité de suspendre la prescription pour cause de négociation. Les experts pourront rencontrer cette situation lorsque leur assureur entreprendra une négociation avec la personne souhaitant engager leur responsabilité. Si tel est le cas, il faut que le point de départ du délai de prescription reste la notification du rapport de l’expert et si une suspension intervient pour cause de négociation il faudrait contraindre l’assureur à informer l’expert de la transaction intervenue.
–> Le législateur a voulu favoriser les mesures d’instruction in futurum par l’article 2239 du Code civil. Il s’agit de l’application de l’article 145 du Code de procédure civile, qui prévoit la possibilité, avant tout procès, d’obtenir du juge, en référé ou sur requête, des mesures pour permettre de conserver ou d’établir des preuves.
Le législateur aurait pu choisir l’interruption plutôt que la suspension dans la mesure où il y a bien le réveil du titulaire d’un droit, mais il faut reconnaître que la frontière est difficile à cerner.
- L’article 2241 du Code civil dispose que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure ».
- L’article 2242 du Code civil dispose que « l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance », ce qui semble plus clair de prime abord mais qui l’est moins lorsque l’on se pose la question de l’instance ayant donné lieu à une décision irrévocable. L’action en justice tant au principal qu’en référé interrompt la prescription. Il convient de remarquer que l’assignation en référé qui tend à obtenir une provision constitue une action en justice interruptive de la prescription. Selon l’alinéa 2 de l’article 2241, l’assignation devant un juge incompétent n’interrompt pas la prescription.
- L’article 2243 du Code civil dispose que « l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée ».
L’abrogation de l’article 6-3 et l’application des dispositions de droit commun vont entraîner pour les experts un allégement de la durée de conservation des preuves de leurs diligences mais il convient de cerner les règles de droit transitoire avant de procéder à la computation des délais.
L’article 2 du Code civil a fixé le principe d’ordre public de non rétroactivité des lois à laquelle la réforme de la prescription ne peut déroger.
–> Selon l’article 2 du Code civil, « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Ainsi, la loi qui avance le départ du délai doit être traitée comme une loi qui abrège le délai, c'est-à-dire que le délai court au jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, ce qui était le cas de l'application de l'article 6-3 introduit par la loi du 11 février 2004. La lettre du 21 juillet 2004 du directeur des affaires civiles et du sceau confirmait cette application.
–> La loi du 17 juin 2008 consacre deux textes au droit transitoire qui ne semblent pas déroger au principe de non rétroactivité des lois. L’article 2222 du Code civil dispose dans son alinéa 2 « …En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ». Le II de l’article 26 de la loi selon lequel « Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure », vient rajouter que la réduction de durée s’applique « aux prescriptions », ce qui concerne les missions achevées et non prescrites avant le 19 juin 2008. Ainsi, la loi consacre la jurisprudence constante selon laquelle toute loi nouvelle s'applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur. La seule restriction est apportée par le III de l’article 26 qui dispose « lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente loi, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. »
Puisque les lois réduisant le délai de prescription s’appliquent aux prescriptions en cours, la prescription réduite ne commence à courir que du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et il convient de proposer le tableau suivant, établi selon les préconisations de la lettre du 21 juillet 2004 et de la jurisprudence de la Cour de cassation qui précise qu’ « en l’absence d’une volonté contraire, expressément affirmée, la loi ne peut produire effet que pour l’avenir, et que spécialement, lorsque le législateur réduit le délai d’une prescription, la prescription réduite ne commence à courir que de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ».
Il est indiscutable que l’abrogation de l’article 6-3 de la loi du 29 juin 1971 va alléger considérablement la charge de conservation des preuves de leurs diligences pour les experts mais il ne faut pas perdre de vue qu’il faut s’assurer que les parties ont bien été informées de l’avis donné pour apprécier leur éventuel droit. En l’absence de telle justification il est opportun pour les missions terminées avant le 19 juin 2008 de conserver les archives pendant au moins dix ans à compter de la fin de leurs missions.
A l’avenir, il appartient aux experts, s’ils en ont la possibilité, de notifier leurs rapports aux parties ou de s’assurer auprès des juridictions de la date de la notification.
Rarement tenu à réparation en raison de la réticence des tribunaux à constater la réunion des conditions de mise en jeu de sa responsabilité civile, l’expert peut, de surcroît, espérer obtenir versement de dommages et intérêts en agissant pour procédure abusive contre le justiciable qui l’a assigné (en cas de griefs ayant un caractère injurieux, par ex : atteinte à l’honorabilité et à la réputation de l’expert : Cass. 2e civ., 27 janv. 1988, inédit ; ou abus du droit d’agir en justice).
Dans un tel contexte, rares sont les hypothèses dans lesquelles il paraît souhaitable d’engager une action en responsabilité civile contre un expert.